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Conflits miniers au Pérou : à Nueva Fuerabamba «nous vivons comme des oiseaux en cage!»

Entretien avec Juan Vargas (président de l’Association des jeunes de Fuerabamba) et Jaime et Esteban Lima (membres de l’AJF) conduit par David Halvía

Du 3 février au 11 avril, la communauté de Fuerabamba (Cotabambas, Apurímac), soutenue par plusieurs autres communautés indigènes de la région, a bloqué l’accès à la mine Las Bambas. Cette mine, qui sert à l’extraction de cuivre, est gérée par l’entreprise étatique chinoise MMG Limited. À travers cette occupation qui a durée 68 jours, ces communautés indigènes ont rendu visible un conflit dont les origines remontent à la mise en œuvre du projet entre 2011 et 2014 et qui était resté latent pendant plus de trois ans, après les affrontements violents qui ont eu lieu en 2015 et qui ont vu la mort de trois «comuneros». 

Le blocage de la mine a été levé après plusieurs heures de négociations qui se sont tenues à Lima et sur place en présence du Premier ministre, Salvador del Solar. Le résultat?  La retraite de l’état d’urgence dans le territoire décrété par le gouvernement et l’ouverture de neuf tables rondes, sous la supervision de la ministre du Développement et de l’Inclusion Sociale, Paola Bustamante, dont le but est l’application effective du Plan de Développement de la province de Cotabambas. [1]

L’Observatoire des conflits miniers au Pérou dénombre 170 conflits sociaux dans le pays pour la seule année 2018. Une large partie de ceux-ci sont liés aux questions socio-environnementales (63%), notamment aux projets miniers qui représentent 65% des cas. Il s’agit des conflits en réaction aux mines informelles, à la pollution des régions minières, au non-respect des accords pris avec les entreprises exploitantes, à l’impact du trafic lourd, ou encore à la propriété des terres. 

Les régions du nord de La Liberdad et Cajamarca (Nord) et celles du Sud telles qu’Apurímac, Cusco, Puno, Arequipa, Moquegua et Tacna sont celles où se concentre la plus grande quantité des conflits sociaux. C’est en effet dans ces régions qui se reverse le 50% du capital investi dans le secteur minier au Pérou. Celui-ci est estimé à 60 milliards de dollars dans l’ensemble du pays. Dans ces régions, le gouvernement a adopté de nombreuses régulations environnementales au cours des dernières années dans le but de favoriser les investissements de capitaux étrangers et la réalisation des mégaprojets extractifs. Les entreprises jouissent également de statuts fiscaux spéciaux qui leur permettent de payer des montants dérisoires au dépit des caisses publiques de l’État péruvien. 

L’occupation des terres par les entreprises exploitantes implique la négation des droits des communautés indigènes. La région d’Apurímac en est un bon exemple. Elle se situe à la troisième place pour ce qui est de la production de cuivre du pays et à la deuxième pour la concentration des capitaux investis dans les projets miniers (19,4%). La moitié des terres disponibles est octroyée à des entreprises multinationales qui exploitent les matières premières. Les conflits dans cette région concernent principalement l’usage, sans autorisation, des terres communales ou appartenant aux communautés indigènes pour la construction des routes du «corredor minero del sur». Le transport des minéraux se traduit par la pollution de l’air, une augmentation de la poussière soulevée par le trafic lourd ainsi que des vibrations du sol et des bruits. 

Lors des actions de protestation, les communautés locales utilisent comme principal moyen de lutte le blocage des routes permettant d’accéder aux mines. La réponse de l’État péruvien consiste en une violente campagne de criminalisation des mouvements. Diverses mesures sont mises en place: la proclamation de l’état d’urgence dans les régions concenrées, des procès à l’encontre des leaders des communautés et de leurs représentants légaux, l’occupation militaire des territoires, la signature de conventions entre les multinationales et la police nationale, etc. Le tout s’accompagne d’une campagne de dénigrement systémique des communautés, relayée par les principaux médias du pays. Le discours diffusé peut être résumé ainsi: les communautés indigènes n’ont fait que dépenser l’argent reçu lors de la concession de leurs terres aux entreprises, ce qui leur a permis de vivre dans le luxe jusqu’à présent; maintenant, ils veulent davantage d’argent pour continuer à vivre dans le luxe! Cette vision de la réalité trouve malheureusement un certain écho au sein de la population, en particulier de celle la plus éloignée des zones de conflits.

Cet entretien, réalisé début d’avril avec trois jeunes membres de la communauté de Fuerabamba, montre que l’exploitation minière de la part des multinationales ne se traduit pas par un développement de la région et une amélioration des conditions de vie des communautés locales, comme voudraient le faire croire le gouvernement péruvien et les entreprises multinationales. Au contraire, les trois jeunes expliquent que l’activité minière a détruit l’agriculture et l’élevage communautaire qui représentait leurs seuls moyens de subsistance. Cela se traduit par une péjoration des conditions de vie dans une région déjà très touchée par la pauvreté et par l’apparition des phénomènes de dépression, de violence et de criminalité au sein de la communauté liée au manque de perspectives pour une large partie de sa population.

Les médias et les «experts» présentent ces conflits comme étant des simples antagonismes entre communautés, entreprises et État dont la simple indemnisation des communautés pour les torts subis suffira à calmer les «esprits». Cette présentation ne rend pourtant pas compte de la réalité des choses et des objectifs des luttes des populations indigènes. En effet, le pillage systématique des ressources naturelles de ce pays n’affecte pas seulement les communautés locales, mais l’ensemble de la population qui se voit privé d’importantes ressources pour le développement économique et social du pays.

Dans ce contexte, plusieurs secteurs de la société péruvienne, plus ou moins organisés, dénoncent l’absence totale d’un plan public d’industrialisation du secteur minier et de la transformation des autres matières premières du pays (la plupart des minéraux sont exportés à leur état brut) à même de garantir un réel développement économique et social.  Il s’agit d’une vision à long terme qui va à l’encontre des plans à très court terme privilégiés par le gouvernement et qui favorise uniquement la rentabilité des capitaux investis dans le secteur minier et le pillage des ressources naturelles de ces anciennes colonies des puissances européennes et des entreprises multinationales. (Cercle La brèche, 28 avril 2019) 

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Depuis deux mois votre communauté bloque la voie aux camions pour accéder à la mine Las Bambas qui traverse le «corredor minero del sur» entre Apurímac, Cusco et Arequipa. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de ce blocage ?

Depuis que l’entreprise multinationale Xstrata [basée en Suisse] a acquis le droit d’exploiter la mine Las Bambas, les données sur l’impact environnemental et la sécurité de l’exploitation ont été modifiées à plusieurs reprises. En particulier, l’Étude d’Impact Environnementale (EIA) a été modifié trois fois et les Rapports Techniques de Durabilité (ITS) cinq fois. Ces modifications ont été apportées par les entreprises qui se sont succédé à Las Bambas à la suite de Xstrata: Glencore-Xstrata (2013-2014) et MMG Limited (depuis 2014). Les entreprises ont agi avec l’aval du Ministère des Transports et de la Communication (MTC) et sans consulter les communautés indigènes affectées par le projet. De ce fait, elles ont bafoué de manière délibérée l’obligation de consultation établie par la convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ratifiée par l’État péruvien en 2011. [2]

La modification la plus significative a été apportée juste avant le rachat du projet minier par la multinationale chinoise MMG Limited en 2014. À ce moment, Glencore-Xstrata a présenté un changement de l’EIA comportant l’élimination du projet de «mineroducto» (pipeline) entre Apurímac, Cusco y Arequipa qui aurait dû servir à transporter les minéraux, en choisissant la solution moins couteuse du transport routier. [3]

L’État continue à soutenir l’entreprise en dépit des protestations des communautés indigènes. Les actions de protestation sont réprimées, entre autres, par l’armée et la Police Nationale. Trois «comuneros» ont trouvé la mort en 2015 et beaucoup d’autres ont été blessés par balles. Le 25 mai 2018, le MTC a soudainement définit cette route comme une «voie nationale d’usage commun», violant ainsi les droits de propriété de la communauté qui contrôlait cette voie. De plus, de cette manière, l’État péruvien est en train d’assumer les coûts d’asphaltage d’une route utilisée quasi exclusivement par une entreprise privée [pour un montant estimé à 454’764’568 USD].

Actuellement, 38 communautés de la province de Cotabambas sont affectées, directement ou indirectement, par le passage journalier de plus de 300 camions à travers leurs territoires. Tout à la longue du «corridor minero» on estime à 70 le nombre de communautés concernées. La poussière qui se soulève au passage des camions et les explosions dans la mine ont un fort impact sur l’activité agraire et d’élevage ainsi que sur la santé de la population.

En quoi consiste l’achat du projet par l’entreprise Xstrata en 2004?

Lors des premières négociations entre l’entreprise, le gouvernement et les communautés, une grande partie de notre communauté était analphabète. Nos parents et nos grands-parents ne connaissaient pas la langue castillane. Leur langue a toujours été le quechua. Pour l’entreprise et ses avocats, il n’a pas été si difficile de les tromper au moment de la signature de l’accord.

L’échange de terres s’est réalisé de manière inégale. La communauté a cédé 4’774 hectares à l’entreprise en échange de quelques terres éparpillées sur le territoire dont une grande partie faisait l’objet d’un différend juridique. Ces terres, dans lesquelles nous avons été réinstallées entre 2013 et 2014, ne nous appartiennent toujours pas. L’entreprise en reste propriétaire. Au début, certains «comuneros» ont refusé cette solution et sont restés sur leurs terres d’origine. Ils ont toutefois été menacés, leurs animaux tués, jusqu’au moment où ils n’avaient d’autre choix que de s’en aller.

L’entreprise s’était engagée à investir beaucoup d’argent et à accompagner le processus de réinstallation dans le but de favoriser le développement économique et social de la région. La construction du village de Nueva Fuerabamba devait participer à ce processus. L’entreprise a garanti à la communauté la satisfaction des besoins de base, l’accès aux différents services sociaux ainsi que des possibilités de travail. Avec ces belles paroles, l’entreprise a créé beaucoup d’illusions au sein la communauté. Rien de tout cela n’a été respecté.

Ce n’est pourtant pas ce que l’entreprise affirme sur le site internet de Las Bambas où elle dit de s’engager fortement pour la communauté… 

Nous avons perdu notre terre et avec elle nos activités traditionnelles d’élevage et d’agriculture. Nous avons perdu nos coutumes. Les seules terres qu’ils nous ont données sont improductives. Parmi les trois parcelles que nous possédons suite à l’échange avec l’entreprise, il n’y en a pas une qui est apte à l’agriculture. Il nous reste uniquement un terrain pour y habiter (Nueva Fuerabamba) et une autre partie pour pratiquer une petite activité d’élevage (Yavi Yavi et Carhuaz Pampa). Nous faisons aussi face à une pénurie d’eau. La grande majorité de la communauté n’y a pas accès et nous devons utiliser l’eau de la rivière, sans savoir ce que les communautés vivant en amont y jettent.

Pour ce qui est du développement de Nueva Fuerabamba, l’entreprise a construit les bâtiments avec du matériel bon marché afin de réduire les coûts. Il fait très froid dans les maisons et les murs paraissent être faits de carton. Durant les jours de pluie, l’eau et l’humidité passent à travers les parois. Pas une seule de ces maisons ne pourra rester debout suite à un tremblement de terre. Les systèmes d’éducation et de santé n’ont pas été développés non plus.

Pour toutes ces raisons, des phénomènes de dépression, d’alcoolisme, de violence familiale, de suicides sont apparus au sein de la communauté. Voilà les conditions dans lesquelles vit actuellement la grande partie de notre communauté et qui affectent tant les personnes âgées que les jeunes. 

De plus, Nueva Fuerabamba a été construite pour une communauté qui comptait environ 1500 personnes. On n’a pas réfléchi au fait qu’il pouvait y avoir une augmentation démographique, que les plus jeunes allaient grandir, se marier et avoir des enfants. Actuellement, la communauté compte entre 3500 et 4000 personnes et il n’y a aucune perspective de développement pour répondre aux besoins fondamentaux. Nous vivons comme des oiseaux en cage!

Une partie des gens a émigré vers d’autres communautés où se trouvent des membres de leur famille et où ils peuvent satisfaire leurs besoins grâce aux activités agricoles de subsistance. Face à ces conditions de vie, la communauté de Fuerabamba est prête à donner sa vie pour ne pas continuer à vivre dans la misère, la mélancolie, l’alcoolisme et les suicides.

Est-ce que l’activité minière crée d’opportunités de travail pour la population ?

Les membres de nos communautés ne sont pas formés et ils n’ont pas de qualification pour travailler dans le secteur minier. Nous connaissons seulement l’agriculture et l’élevage.

Au début, l’entreprise s’était engagée à nous former dans des travaux marginaux liés à l’activité minière. Dans un premier temps, ils ont maintenu les promesses.  Toutefois, il n’y a plus eu de formation une fois que nous avons été réinstallés dans les nouveaux territoires. L’entreprise préfère employer de la main-d’œuvre déjà qualifiée provenant  de différentes régions du Pérou comme Cusco, Apurímac et Lima.  Il y en a certains qui viennent du Chili. Il n’y a donc pas de perspectives de travail. [4]

Quel est le rôle de l’État dans ce processus ?

L’État péruvien a toujours appuyé les intérêts des différentes entreprises qui se sont succédé dans l’exploitation de la mine.

Le mouvement de protestation de 2015 a été réprimé par l’armée et par la Police Nationale. Cette dernière est au service de l’entreprise à la suite de la signature d’une convention anticonstitutionnelle qui porte sur des questions de sécurité. Durant les affrontements, trois «comuneros» ont été tués alors que plusieurs dizaines ont été blessés et beaucoup d’autres ont été arrêtés. Au total, dix-neuf membres des communautés de Cotabamba sont toujours en procès et risquent jusqu’à dix-sept ans de prison. [5]

En 2017, l’État et l’entreprise se sont engagés une fois de plus à réaliser un plan de développement durable de la région dans le but de mettre fin aux protestations. Ce plan prévoyait entre autres le développement de l’éducation, du système de santé, de l’emploi et des services. Le gouvernement a voulu faire de la région de Cajamarca [au nord]un modèle et nous a promis que nous aurions pu vivre avec la même qualité de vie grâce à l’activité minière. La réalité est toute autre. À cette époque, l’actuel président de la République, Martín Vizcarra, était à la tête du MTC. Dans ses vestes de ministre, il s’est porté garant de la réalisation de ce plan. Aujourd’hui, en tant que président, il semble avoir oublié les engagements pris…

L’État péruvien n’arrête pas de déclarer l’état d’urgence tout au long du «corredor minero del sur» à chaque fois que des communauté mènent des actions de protestation, ce qui constitue une violation de nos droits fondamentaux. Dans la région de Yavi Yavi, par exemple, l’état d’urgence dure depuis plus de sept mois. Nos vies ne valent rien. L’état d’urgence sert seulement à préserver les intérêts de l’entreprise. Son pouvoir est très fort: elle paye les procureurs et les juges, ses relations vont jusqu’au Congrès de la République. Le président Vizcarra lui-même défend les intérêts de l’entreprise. On peut dire que tout l’État soutient l’entreprise, ce qui équivaut à cautionner la violation systémique des droits humains. Dans ce pays, personne ne peut dire quoi que ce soit sans subir des rétorsions. Ils peuvent aller jusqu’à tuer une personne sans que les gens ne disent rien.  

Vos avocats, Jorge Martín et Frank Aníbal Chávez Sotelo, se trouvent en prison préventive. Ils sont accusés d’être à l’origine du blocage de la route qui garantit l’accès à la mine. Les autorités les accusent d’avoir agi de manière criminelle dans le but d’extorquer de l’argent à l’entreprise. Quelles sont les conséquences de cette incarcération pour votre communauté ?

La majorité de notre communauté ne connaît pas bien les termes légaux, les articles de lois et la Constitution du Pérou. L’entreprise a profité de cette situation depuis le début. En 2018, nous nous sommes aperçus de plusieurs irrégularités au moment de l’acquisition des terres. Au moment du vote à l’assemblée communale pour approuver les accords de transfert des terres, il n’y avait pas le quorum nécessaire ainsi que le prévoit la Loi Générale des Communautés Paysannes. L’entreprise a obtenu le consensus par la force durant les négociations. Ils nous ont fait signer illégalement les documents, alors que d’autres étaient falsifiés. 

L’entreprise agissait toujours à travers ses avocats alors que nous n’avions l’aide de personnes. Ces avocats sont des professionnels. Nous, nous sommes seulement des paysans. Il n’y a donc pas eu l’égalité des droits, car nous ne parlons pas la même langue de celle de ces professionnels. Nous aimerions nous adresser à l’Organisation des Nations Unies (ONU) [6]et à d’autres institutions internationales.

L’objectif est de faire connaître cette violation des droits humains de la part de l’entreprise et de l’État péruvien. Ce qui se passe dans nos terres est très peu connu même au sein du Pérou. La population méconnaît la vérité. À Lima, par exemple, très peu de gens connaissent la situation de pollution et de répression dans laquelle nous vivons. L’entreprise rédige des rapports pour les gouvernements péruvien, chinois, australien, dans lesquels elle affirme que tout se passe bien et que Fuerabamba possède de l’argent, des voitures, des maisons… mais ça ne correspond pas à la réalité!

Nous demandons donc d’être soutenus et respectés en tant qu’êtres humains. Nous voulons  que nos protestations contre les escroqueries, le non-respect des engagements pris par les entreprises et le problème de la pollution de nos terres soient écoutées.

Au Pérou, nous ne trouvons pas de justice. Pour cette raison, nous voulons un audit international sur ces questions. Pour le réaliser, nous avons besoin de nos avocats. Ils ont été les seuls qui nous ont ouvert les yeux et qui nous ont informés. C’est pourquoi ils ont été emprisonnés, pour la simple raison qui nous ont fait connaître nos droits. Ils les traitent comme une bande criminelle, alors qu’ils travaillent dans toute légalité. En plus de les emprisonner, ils ont pris tous les documents que nous avions à propos de cette escroquerie. Ces documents nous appartiennent et ils se doivent de nous les rendre. 

Que pensez-vous de la médiation de la part de l’Église Catholique dans ce conflit?

La vérité est que la grande majorité de la communauté est analphabète et méconnaît complètement l’Église Catholique et ses activités. Il existe différentes religions dans chaque région et chaque communauté. La majorité croit en l’Apu, à savoir l’esprit des montagnes dans la religion incaïque, ou encore au Soleil, aux Crêtes, etc. Les jeunes connaissent un peu plus l’Église, mais nos parents et grands-parents ne la connaissent pas. Cette médiation ne nous apporte donc aucune garantie. L’entreprise minière continuera à travailler comme elle le fait maintenant et à réprimer toutes protestations. 

Quelles sont donc vos revendications ?

Nous voulons une indemnisation pour la construction illégale de la route qui traverse nos territoires. L’entreprise affirme avoir construit la route et de ne pas nous devoir des péages, mais selon nos documents ce n’est pas vrai. Nous voulons aussi une indemnisation pour la violation de nos droits, pour le non-respect de la convention 169 de l’OIT et pour plusieurs autres abus que nous ne connaissons malheureusement toujours pas, car nos avocats demeurent en prison.

Nous voulons aussi que soient reconnus le fait que l’entreprise nous a manipulés, l’illégalité des négociations passées et le non-respect des engagements pris par l’entreprise et l’État en matière de développement de la région. Enfin, nous exigeons que soit reconnu notre droit de récupérer nos terres ancestrales.

Et le projet Las Bambas ?

La mine n’apporte rien à notre communauté. Il n’y a pas de développement de la région, seulement de la pollution. Le projet peut donc terminer. Nous voulons vivre dans un environnement sain et non pollué. Si on continue sur cette voie, il n’y aura plus personne qui pourra vivre dans ces terres. C’est la réalité qui nous attend. Le fait de pouvoir récupérer nos terres permettrait au moins de retourner aux activités d’élevage et d’agriculture antérieures et de rétablir une vie digne de ce nom dans la région.

Dans plusieurs régions du Pérou ont eu lieu des manifestations de solidarité avec votre lutte (Moquegua, Puno, Arequipa, etc.). Existe-t-il un réseau de coordination entre les différentes manifestations?

Sous l’influence de la propagande de l’État et de la presse, une partie de la population péruvienne nous accuse de vouloir seulement plus d’argent parce que nous avons dépensé celui que nous avons reçu antérieurement. Toutefois, d’autres secteurs de la population se solidarisent avec notre lutte, car ils comprennent notre situation.  Cela est dû en partie au fait qu’ils vivent des situations très semblables à la nôtre. À Puno, Cusco, Cajamarca et d’autres régions, il y a des activités minières. La solidarité vient du fait qu’ils savent ce que signifie vivre et souffrir comme chez nous.

Ce qui est certain est qu’on ne peut pas continuer comme ça. Nous avons désormais décidé qu’on en a assez des escroqueries et de mensonges de l’entreprise et de l’État. On ne veut plus continuer à être soumis à leurs intérêts. (4 avril 2019)

Notes

[1] Les communautés locales, réunies le 10 avril 2019, ont élaboré une «Plateforme Unique de Lutte de la Province de Cotabambas» portant sur neuf revendications principales en vue du processus de négociations:

1. Archivage des plaintes portées contre les frères sous procès pour les conflits sociaux en la région de Cotabambas depuis l’année 2011 jusqu’à présent et mise en place d’un soutien particulier aux familles des victimes des conflits ;

2. Solution aux problèmes liés au «corredor minero» et aux problèmes affectant de manière directe ou indirecte les communautés paysannes de la région ;

3. Mise en place d’une Convention entre la province et les districts de Cotabambas avec l’entreprise minière MMG Las Bambas et le Gouvernement central comme garant de sa mise en œuvre ;

4. Mise en place de la Redevance Minière sous forme immédiate [actuellement on estime que la redevance ne sera pas payée, dans le meilleur de cas, qu’en 2022]et abrogation de la Loi de dévaluation anticipée [qui permet de soustraire d’importants montants à l’imposition fiscale] ;

5. Accomplissement immédiat du Plan de Développement du District de Challhuahuacho et de la Province de Cotabambas, ainsi que du Plan de Progrès de la Province de Grau, approuvés par la Communauté paysanne de Quehuira le 22 octobre 2016. Accomplissement du D S 005-2016-PCM et de la Loi N. 30589 ;

6. Renégociation des 17 conditions et Annexe K, souscrites en 2004 [lors de l’achat du projet par l’entreprise Xstrata] ;

7. Création d’une Assurance Environnementale pour limiter l’impact environnemental négatif sur l’air, l’eau et le sol et révisons des Études d’Impact Environnemental [modifiés par les entreprises exploitantes à plusieurs reprises et sans aucune consultation] ;

8. Nous exigeons la présence du représentant de MMG Las Bambas, le Gèrent Général M. Edgar Orderique et le changement des fonctionnaires et du personnel administratif de l’entreprise MMG Las Bambas pour les actes de corruption dans le district de Challhuahuacho et la province de Cotabambas ;

9. Engagement du Gouvernement Central à ne plus déclarer l’état d’urgence en Cotabambas. Annulation de la Convention entre la Police Nationale du Pérou et l’entreprise minière MMG Las Bambas à des fins de sécurité. Retraite immédiate de la base policière de Manuel Seguane Corrales de Challhuahuacho. (Cotabambas, 10 avril 2019; publié, entre autres, par lamula.pe).

[2]Plusieurs mécanismes ont été mis en place par le gouvernement péruvien afin de contourner la convention de consultation préalable de l’OIT. Ceux-ci peuvent consister en exonérations gouvernementales justifiées par la baisse des prix des métaux ou de la forte croissance du secteur en Chine et en Europe. Dans le cas des projets miniers affectant les communautés indigènes locales, la non-reconnaissance de celles-ci comme communautés indigènes d’origine quechua est utilisé pour justifier le non-recours à la consultation. Pour cette raison, lors de la présentation des listes établies par le Ministre de la Culture au Conseil de Ministres, le Ministère de l’Énergie e de Mines semble porter une grande attention aux territoires hébergeant des projets miniers. L’exclusion des communautés indigènes des listes signifie donc la non-reconnaissance de droits fondamentaux, notamment les droits civiques et démocratiques de base, pour une grande partie de ces communautés (source: Ojo Público, 04.04.2019).

[3]À cette époque, il y avait déjà un accord pour la vente du projet à l’entreprise étatique China Minmetals. La fusion entre Glencore et Xstrata, qui nécessitait de l’aval des États-Unis, de l’Union-Européenne et de la Chine, fut en effet approuvé par cette dernière seulement après accord préalable de vente de Las Bambas afin d’éviter la création d’un monopole dans la production du cuivre (source:comunicacionesaliadas.com, 08.05.2018).

[4]Dans le cas de la présentation du projet comportant la réinstallation d’une ou plus communautés locales, les entreprises gonflent les projections de rentabilité économique afin de le faire accepter. Dans le cas de Las Bambas, l’entreprise avait promis non seulement l’indemnisation pour la réinstallation, mais aussi la création de 1’000 places de travail et d’un centre de formation pour le personnel. Durant l’étape de construction de la mine, 18’000 emplois ont été créés. Les emplois se sont réduits à 3’000-4’000 dans la phase d’exploitation. Seulement le 10% de travailleurs sont originaires de la région d’Apurímac (source: entretien avec José de Echave, membre de la ONG Cooperacción,El Comercio, 31.03.2019).

[5]Un des premiers résultats des négociations en date du 25 avril a été l’ouverture d’une révision des cas judiciaires concernant 500 comuneros par le Bureau de contrôle de la Magistrature ainsi que l’annonce d’un projet de loi d’amnistie pour archiver les plaintes portées contre ces derniers. De plus, les accords portent sur l’annulation du décret 982, adopté par le gouvernement de Alan García en 2007, qui autorise la Police Nationale à faire usage d’armes à feu lors de manifestation populaire et qui prévoit des peines allant jusqu’à 25 ans de prison pour des actions de blocages des rues (frenteamplioperu.pe, 25 avril 2019).

[6]Dans le cadre du troisième Examen périodique universel de Chine, réalisé au Haut Commissariat des Droits Humains de l’ONU située à Genève le 6 novembre 2018, des représentants du Pérou, Argentine, Brésil, Bolivie et Ecuador, réunis dans le Collectif d’observation du financement et de l’investissement chinois, des droits humains et de l’environnement, ont participé à la session parallèle de l’ONU. À cette séance ils ont partagé plusieurs informations et témoignages à propos des graves violations des droits humains générés par 18 projets chinois en Amérique latine, dont quatre cas de projets miniers, inclus celui de Las Bambas (source : 23° Observatoire des conflits miniers au Pérou, Deuxième semestre 2018, p. 44).