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Suisse. Bienvenue aux réfugiés! Contre le régime de la migration!

 Le texte que nous publions ci-dessous a été distribué par le Jeunes du Mouvement pour le socialisme de Zurich (BFS Jugend Zürich) en occasion de la manifestation de solidarité aux migrants qui a eu lieu le 4 septembre 2015. Né de façon spontanée à partir d’un rassemblement organisé par des artistes de la ville, le cortège a rassemblé un millier de personnes. Cette manifestation pacifique a été ensuite stoppée par la police, qui a fait usage de balles en chaouch et de gaz lacrymogènes. Si l’attention des media suisses «de référence» s’est focalisée principalement sur ces événements, les revendications des manifestants sont bien évidemment passées sous silence. Vous pouvez lire la version originale du texte et plusieurs article du BFS-Zurich sur le site sozialismus.ch.

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Suisse. Bienvenue aux réfugiés !

Contre le régime de la migration !

 

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La vague actuelle d’indignation et de solidarité nous change du racisme habituel et devenu même convenable. Mais dans cette indignation, il est central de bien voir que le tombeau de masse aux frontières extérieures de l’Europe est la conséquence de décisions politiques conscientes qui font partie du contexte du système capitaliste dans lequel la mort des réfugiés est assumée comme inévitable. Les interventions militaires impérialistes occidentales jouent également un rôle central dans les causes de leur fuite. Il suffit de penser que l’apparition de l’ISIS est en lien avec la guerre en Irak.

Le Camp de base (Basislager) a appelé aujourd’hui à participer à une manifestation sous le mot d’ordre #Refugees_Welcome afin de nous opposer, ici en Suisse également, à l’ambiance fondamentalement raciste par le moyen d’un signe solidaire. Ce qui se passe à Vienne doit aussi être possible à Zurich. Dans l’appel, il est fait allusion très justement au lien entre le système de Dublin, la frontière extérieure de l’Europe, et le tombeau de masse qui y devient de plus en plus grand.

Le système de Dublin

Le système Dublin est emblématique du régime de migration européen. Il exige que chaque réfugié soit expulsé vers le pays européen où il est entré en premier. Tout à fait indépendamment si la personne aurait par ailleurs droit à l’asile en Suisse. Il s’agit du contrôle des flux migratoires au sein de l’Europe et cela manifestement dans l’intérêt des pays économiquement les plus forts en Europe comme, par exemple, l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse, mais qui n’ont pas de frontières extérieures à l’Europe. Malgré toutes les révisions des lois sur l’asile et sur les étrangers, c’est finalement l’introduction du système de Dublin qui est la plus grande restriction du droit d’asile de ces dernières années. Théoriquement, seuls peuvent se voir accorder l’asile en Suisse ceux qui y ont fui par vol direct car tous les autres sont arrivés en Suisse à travers des pays tiers « sûrs » en Europe. Dans la pratique, il est vrai que ces états nient souvent que ces réfugiés sont arrivés effectivement au travers de leurs pays, pourtant les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2014, la Suisse a requis pour 14’900 requérants d’asile leur réadmission par les autres états européens. Pour comparaison, cette même année 2014, ce sont environ 25’000 personnes qui ont demandé l’asile en Suisse.

Le régime suisse de l’asile se soustrait donc systématiquement à sa responsabilité et abandonne la question de l’asile à des pays membres de l’UE économiquement plus faibles. Le régime de Dublin est entré en vigueur au moment où faisait rage la crise économique mondiale et provoquait des chiffres massivement élevés de chômeurs en Europe. Avec la libre circulation des personnes entrée en vigueur au même moment, les pays comme la Suisse avaient en permanence la garantie que des forces de travail bon marché continueraient d’arriver et qu’on avait donc pas besoin de refugiés extra-européens. C’est ainsi qu’avec la libre circulation des personnes, la Suisse « n’importe » que des forces de travail qui sont économiquement rentables. Une ouverture au sens de la liberté d’établissement ou d’une perspective humanitaire continue de rester très éloignée. Parallèlement, il faut remarquer que le harcèlement raciste contre les réfugiés et des groupes de peuples particuliers est systématiquement attisé.

Attiser la persécution en Suisse

L’ambiance raciste qui est l’ambiance de fond en Suisse fait système. Elle est exploitée comme stratégie politique par l’UDC, et par les autres partis bourgeois, qui donc la cultivent consciemment. Le régime de l’asile en Suisse, qui broie les gens, a acquis sa propre logique qui crée le terrain pour les persécutions racistes futures.

Un exemple en est la position des Erythréens et Erythréennes en Suisse. Quand il y a dix ans il y avait déjà un grand nombre de réfugiés érythréens arrivés en Suisse, les Erythréens-ennes passaient pour pacifiques, amicaux, prêts à aider, bref pour les « bons » parmi les demandeurs d’asile. La fabrication politique de l’opinion a cependant maintenant conduit à ce que les Erythréens-ennes apparaissent de plus en plus, et de plus en plus fortement, dans les nouvelles négatives des médias. Les politiciens suisses réactionnaires prétendent désormais que tout va bien en Erythrée et que les Erythréens-ennes n’ont nul besoin d’asile. Ils s’appuient pour cela sur des rapports de situation douteux, manifestement rédigés avec des arrière-pensées politiques, et critiqués par leurs auteurs eux-mêmes.

Depuis leurs tranchées racistes, sans cesse à nouveau les partis de la droite et du centre proclament à grand bruit des pourcentages astronomiques de réfugiés au chômage en taisant le fait que eux-mêmes, en rendant les lois plus sévères, ont institué de fait une interdiction de travailler pour les réfugiés. C’est ainsi que fonctionne la campagne pour les élections fédérales 2015. Les structures de programmes d’intégration au travail mises à disposition ne sont rien d’autre que du travail bon marché sans perspectives à 150 francs par mois. En même temps, diverses communes empêchent l’accès à des cours d’allemand (particulièrement là où les partis bourgeois sont très forts). On exige l’intégration, on précarise les êtres humains, pour pouvoir ensuite attiser la persécution contre ceux qui ne s’en sortent pas avec ce système qui broie les gens. Comme déjà dit, un cercle vicieux inhérent au système. Cette logique frappe tous les requérants d’asile en Suisse.

Pourquoi « no borders » est une nécessité politique

Dans des situations apparemment sans issue, qui voient médias et politique souligner sans cesse à nouveau la peur devant des « marées » anonymes de migrants et migrantes (le langage joue d’ailleurs ici un rôle décisif), il est souvent utile de regarder un peu en arrière dans l’histoire. Dans les années 1980, il y a eu des discours analogues à propos de la redoutée importation de la pauvreté du fait de l’élargissement de l’UE vers le Sud (Portugal et Espagne 1986). Dans les années 1990, c’est la chute de l’Union soviétique, ou en dehors de l’Europe, l’ouverture de la frontière entre l’Inde et le Népal, qui ont suscité la même discussion. L’idée que sans contrôles actifs des frontières, sans fil de fer barbelé et sans murs, des masses anonymes « d’étrangers » vont s’abattre sur cette représentation de « nous », est aussi vieille qu’elle est bête. Dans aucun de ces deux cas un nombre plus grand de migrants-tes n’est venu après la levée des contrôles aux frontières. La même chose se passerait aujourd’hui aussi. Comme le dit le spécialiste des migrations François Gemenne, « l’effet d’une frontière fermée réside dans le fait que la migration devient illégale et plus dangereuse. Avec une frontière ouverte vous avez le même nombre de réfugiés et tous sont vivants. Avec une frontière fermée, une partie d’entre eux sont morts. »
L’intention derrière ces fantasmes de peur consciemment encouragés est claire : C’est dans une atmosphère d’insécurité et de peur que l’idéologie néo-libérale prospère le mieux et aussi sa froide expression pseudo-scientifique, la dite science économique bourgeoise. Le capitalisme a besoin de « l’ébranlement incessant de toutes les conditions sociales, l’insécurité et l’agitation perpétuelles… » comme l’écrivaient déjà Marx et Engels en 1847 dans le Manifeste communiste. Contre cette lutte de classes menée d’en-haut, il faut la résistance organisée d’en-bas.

Après la manif, ce n’est de loin pas encore fini !

Dans les pays européens, les conditions de vie pour beaucoup de réfugiés sont misérables, et en partie représentent même une menace pour leur vie, parce que les responsables sont incapables de, ou par leur politique d’asile si dure ne veulent pas, offrir aux réfugiés une vie digne. Dans de telles situations, la solidarité, et une aide pratique ici et maintenant, doivent devenir notre devoir. Mais notre engagement ne doit pas s’arrêter à une aide individuelle. Car la cause des conditions misérables des réfugiés, c’est la politique européenne de l’asile. Avec une aide solidaire apportée aux réfugiés on peut combattre quelques symptômes de cette politique erronée. Mais le problème de fond restera tant qu’on n’aura pas éliminé le régime européen de la migration. Et justement parce que ce régime de la migration est de nature structurelle, et que le meurtre de masse aux frontières extérieures de l’Europe est une conséquence de la logique capitaliste à laquelle est soumise la politique européenne, il est nécessaire que nous nous organisions et que nous luttions pour une autre perspective.

(4 septembre 2015, traduction Cercle la brèche).