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Québec. Les étudiants à nouveau au centre de protestations populaires d’ampleur.

Deux ans après le mouvement contre la hausse des frais de scolarité qui avait mobilisé une large partie de la population, les étudiants québécois se remettent en grève pour contester les mesures d’austérité prévues pour l’année 2015. Une manifestation importante est prévue le 2 avril. Pour un premier aperçu, nous publions ici un texte introductif paru sur le site alencontre.org; suivi d’un article de Pierre Beaudet et Robert Deschambault, publié sur Presse-toi à gauche. Ces textes mettent en évidence l’importance du caractère unitaire de cette mobilisation. En ce qui concerne les mobilisations du « printemps érable » de 2012, nous renvoyons aux documents publiés sur ce blog

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Près de 60’000 étudiants ont déclenché une grève lundi matin 23 mars pour protester contre les mesures d’austérité mises en avant par le gouvernement québécois et contre les hydrocarbures (politique du gouvernement dans ce domaine). Selon le site printemps 2015.org, recensant les associations étudiantes en grève, 28 associations étudiantes représentant 38’000 étudiants prenaient part à une grève générale reconductible en date du 23 mars. A ce nombre s’ajoutent environ 20’000 étudiants qui sont en grève seulement pour la journée de lundi 23 mars. L’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSE) a obtenu, lors de vote à bulletin secret, 30’000 adhésions à la grève dès le 15 mars. Elle s’était fixé cet objectif quantitatif pour mettre en marche effectivement un mouvement de grève.

Le comité Printemps 2015 estime que pour le moment 80’000 personnes seront en grève le 2 avril, date à laquelle devrait se tenir une manifestation d’ampleur planifiée depuis plusieurs mois.

Environ 150’000 étudiants seront consultés prochainement par leur association étudiante sur le recours à une grève générale. De nombreux événements ponctuels de mobilisation et de revendication auront lieu dans les prochaines semaines un peu partout dans la province. Samedi après-midi (21 mars), environ 5000 personnes ont marché au centre-ville de Montréal pour protester contre l’austérité et l’économie du pétrole.

L’Association facultaire étudiante des arts (AFEA), représentant 3800 étudiants, a déclenché une grève lundi dernier.

Quelques milliers de manifestants ont défilé au centre-ville de Montréal mardi soir 24 mars dans le cadre de la grève étudiante. La marche a rapidement été déclarée illégale parce que les manifestants n’ont pas fourni leur itinéraire à la police, conformément au règlement P-6 décidé après les mobilisations de 2011. (Rédaction A l’Encontre)

En 2012, la mobilisation lancée par les étudiants avait réussi à bloquer la hausse de frais de scolarité prévue par le gouvernement.
En 2012, la mobilisation lancée par les étudiants avait réussi à bloquer la hausse de frais de scolarité prévue par le gouvernement.

 

Par Pierre Beaudet et Robert Deschambault

Cette semaine, plusieurs milliers d’étudiant·e·s entreprennent la grève dans une dizaine de campus à travers le Québec. C’est le résultat d’intenses consultations, assemblées et délibérations amorcées par l’ASSÉ (Association pour une solidarité syndicale étudiante) depuis déjà plusieurs mois. Dans la tradition, cette association qui est la plus importante en milieu étudiant, travaille à la base, prend le soin de refléter l’opinion des gens et élabore des stratégies. En 2005 et surtout en 2012, les étudiant·e·s ont démontré qu’ils étaient prêts non seulement à confronter, mais à construire des alliances et à gagner des batailles.

Aujourd’hui cependant, le combat s’annonce difficile. Les médias-mercenaires et les intellectuels de service remettent cela pour traiter les étudiant·e·s de «horde déchaînée». Le gouvernement les attend de pied ferme avec plusieurs dispositifs pour briser la grève. On mise sur les divisions dans le mouvement étudiant. À Montréal d’autre part, la police entend faire payer cher aux étudiants qui vont essayer d’entraver les institutions.

Ça va barder…

Il y a plusieurs facteurs qui peuvent interférer dans ce rapport de forces. Si la mobilisation étudiante peut surmonter les clivages (comme cela a été le cas en 2012), il faut inscrire la grève dans la convergence. Ce n’est ni évident ni facile, mais sans cette convergence, il sera bien difficile de faire reculer l’État. Or on le sait, il y a trois processus de convergences actuellement. Les assos étudiantes pour leur part sont plutôt actives dans la coalition Mains rouges où on retrouve de nombreux groupes populaires, des syndicats, des réseaux citoyens. Et il y a également le Collectif Refusons l’austérité qui regroupe outre les centrales syndicales, plusieurs mouvements populaires. Sans compter la coalition Printemps 2015, le Rassemblement du 12 février qui rassemblent d’autres groupes. La bonne nouvelle est qu’en pratique, au cours de l’automne et de l’hiver, plusieurs groupes ont réussi à travailler ensemble lors de plusieurs mobilisations petites ou grandes, comme lors des grosses manifs à Montréal et à Québec le 29 novembre dernier. L’important est de construire un discours contre-hégémonique en donnant sens aux résistances citoyennes, comme l’explique bien René Delvaux (in «Traces et effets politiques du printemps 2012», Cahier des imaginaires, mars 2015).

Dans les débats en cours, il y a la question du rythme de la mobilisation, des étapes à franchir et surtout de l’incontournable «travail de fourmi» à la base pour enraciner la résistance. Cela se voit beaucoup en région, en partie à cause du fait que le mouvement populaire y est souvent «tricoté serré». Faire sortir des milliers de personnes dans la rue à Sept-Îles, dans le bas du fleuve et en Gaspésie, dans les Laurentides à la Lanaudière et en Mauricie, c’est le résultat d’un travail d’éducation et d’organisation bien structuré.

Pour plusieurs militant·e·s, cela doit culminer dans des mobilisations encore plus grandes, voir une grève «sociale», impliquant tous les secteurs et toutes les régions du Québec. C’est certainement une bonne idée, ce qui ne veut pas dire, par ailleurs, que c’est une solution magique. Une grève générale, ça ne peut pas s’improviser et surtout, cela ne peut pas être l’action d’une petite minorité. Il faut éviter le piège de l’impatience et de l’arrogance, comme si tous ceux et celles qui n’étaient pas convaincus de la grève générale étaient des «traîtres». Une chance que ce discours arrogant n’a plus trop la cote à part quelques cercles convaincus qu’ils sont l’«avant-garde» du peuple. Entre-temps, il est important de la préparer cette grève sociale. C’est dans l’air en tout cas.

Une stratégie bien pensée pour faire en sorte que le Québec se mobilise massivement implique évidemment de confronter le discours des éteignoirs professionnels qui disent qu’il faut plier et «sauver les meubles». Pour viser juste, il faut tenir compte de plusieurs dynamiques.

Faire la grève étudiante n’est pas la même chose que d’arrêter le travail dans le secteur public et le secteur privé. Il serait irresponsable de ne pas tenir compte de l’étroit cadre légal dans lequel les droits des travailleurs sont enchâssés. Pour autant, on a vu dans le passé les syndicats transgresser la loi. La loi faut-il l’oublier, c’est celle du plus fort, pas celle qui reflète la justice. Cela devient alors une question de stratégie: pouvons-nous changer le rapport de forces? Avec qui? Comment? Dans quelle mesure peut-on minimiser les coûts et surtout éviter un encerclement politique qui laisserait mains libres au gouvernement ?

En fin de compte, c’est la «convergence des convergences» qui peut faire la différence, quitte à vivre avec des points de vue différents, en autant qu’on puisse, comme le dit une vieille chanson, «se battre ensemble tout en marchant séparément.» (Article publié dans Presse-toi à gauche, le 24 mars 2015)