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« On a grèvé ». Projection du film-documentaire de Denis Gheerbrant au Cinéma Spoutnik

Projection du film-documentaire

On a grèvé

de Denis Gheerbrant

(Zeugma Films, France, 2014, 70’, VO français)

29 mars 2017 · Genève · Cinéma Spoutnik · 20h00

(l’Usine, 11 rue de la Coulouvrenière)

En présence de deux femmes qui ont animé la grève

Entrée prix libre.

 

***

Par Cercle La brèche

En 2012, à quelques kilomètres des Champs-Élysées, des femmes de chambre immigrées se mettent en grève pour dénoncer la précarité de leurs conditions de travail dans deux établissements du Louvre Hôtels Group. Ce dernier est le pôle d’hôtellerie économique du groupe du Louvre qui appartient, depuis 2005, au fond d’investissement américain Starwood Capital Group, l’un des principaux groupes mondiaux de l’hôtellerie.[1]

Dans ce secteur, les bénéfices sont garantis par la sous-traitance du travail et par l’imposition du «salaire à la tâche», contre toute législation. En effet, les femmes de chambre, qui sont employées par une entreprise sous-traitante, ne reçoivent pas un salaire horaire, mais elles sont payées selon le nombre de chambres rangées et nettoyées. Le temps moyen de référence fixé par la direction est de quatre chambres à l’heure dans un hôtel et quatre chambres et quart dans l’autre. Cette estimation étant bien loin du temps réel employé, les femmes peuvent travailler plusieurs heures supplémentaires sans que celles-ci disent leur nom.

Pour le fond Starwood, le bénéfice réalisé sur ces deux sites atteint un million d’euros par année. Compte tenu du chiffre d’affaires de 6,3 millions évoqué dans le documentaire, le taux de profit s’élève à 15%. La rentabilité des capitaux investis dans le secteur est donc énorme!

De tels bénéfices ne peuvent pas se faire que sur le dos des travailleurs et travailleuses. Dans ce cas, c’est le taux d’exploitation de la main d’œuvre qui assure le taux de profit, moyennant le surcroît du temps de travail et le maintien des salaires à des niveaux très bas.

Depuis désormais quatre décennies, les améliorations des conditions de travail obtenues par le mouvement ouvrier dans l’après-guerre (résultat combiné de l’intégration massive de travailleurs dans le procès productif et de la constitution d’un rapport de force économique et politique favorable aux salarié·e·s) sont l’objet d’une contre-offensive patronale d’envergeure.

Dans les pays dits «développés», le capital dispose de plusieurs moyens pour s’approprier  d’une large partie de la richesse socialement produite. Parmi ceux-ci, on trouve la création «chez soi» des conditions de travail exceptionnelles pour des groupes déterminés de travailleurs et travailleuses, analogues à celles des pays dits «en développement». Un hôtel n’étant pas délocalisable, les capitaux investis dans le domaine hôtelier – et ceux investis dans l’agriculture et la construction – ont contribué et contribuent toujours considérablement à la mise au point de ce processus que plusieurs études ont nommé «délocalisation interne»[2].

À ces fins, l’emploi d’une main d’œuvre provenant de pays «pauvres», privée de droits, très précaire et donc mieux apte à accepter n’importe quel travail à n’importe quelles conditions, joue un rôle central.

Dans ce cadre, la lutte des femmes de chambre que Denis Gheerbrant nous restitue assume toute son importance. Face aux conditions de travail ignobles décrites plus haut, les femmes exigent une augmentation du taux horaire de travail correspondant au temps réel[3], un salaire horaire au lieu d’un salaire par chambre et l’engagement direct par le Groupe Louvre et non par une entreprise sous-traitante.

Dans leur lutte, elles sont épaulées par la section des hôtels de prestige et économiques affiliés à la Confédération générale du travail (CGT), qui a organisé le conflit. Elles sont aussi soutenues par la Confédération nationale du travail (CNT) du nettoyage. Pour une fois, comme l’affirme le principal animateur syndical de la grève: «le syndicat joue son rôle». Pour soutenir les grévistes, un fond de grève exceptionnel est en effet débloqué jusqu’au bout, ce qui assure aux femmes au moins 40 euros par jour.

Au cours du conflit, aux pratiques de lutte traditionnelle (piquet de grève, distribution de tracts, mots d’ordre au mégaphone) les grévistes rajoutent des moments de chants, de danse et des repas dans le but d’exprimer les différentes formes d’appartenances culturelles à leurs pays d’origine. Elles se reconnaissent ainsi les unes dans les autres et leur grève, bien qu’exténuante, devient également joviale et épanouissante.

Grâce à leur ténacité, elles réussissent d’abord à bloquer toute tentative de la direction de l’hôtel de casser la grève. Ensuite, elles l’obligent à négocier et puis à céder à leurs revendications.

L’importance du combat offensif mené par ces femmes n’est de loin pas limitée au seul secteur hôtelier, voire à leurs seules conditions individuelles. Les mécanismes de «délocalisation interne» évoqués plus haut ont pour but ultime d’acclimater l’idée, dans la classe de travailleurs et travailleuses dans son ensemble, que des conditions de travail indignes (flexibilité extrême, bas salaires, absence de protection sociale… absence de droits) sont tout à fait normales.

La lutte de ces femmes brise donc avant tout le silence qui entoure cette acclimatation. Mais encore plus, elle rompt avec des pratiques patronales de soumission totale aux exigences du capital, dont la finalité est la maximisation des profits.

Grâce à leur lutte, ces femmes contribuent à revendiquer pour l’ensemble des travailleurs et des travailleuses le droit à une existence et à une identité sociale qui va bien au-delà de la pure et simple vente de leur force de travail, soit-elle physique, intellectuelle ou morale.

À cinq ans de distance de cette lutte et à trois ans de sa parution, On a grèvé de Denis Gheerbrant demeure un documentaire d’importance, à voir, à diffuser et à débattre largement. Nous vous invitons donc vivement à venir en discuter avec nous, en présence de deux femmes qui ont animé la grève. Elles seules nous permettront de mieux saisir les enjeux considérables que leur grève a dévoilés. (Cercle La brèche, 13 mars 2017)

[youtube=https://www.youtube.com/watch?v=X4CTgQh3oz4]

Notes

[1] En 2015, Louvre Hôtels Group est racheté par le groupe chinois Jin Jiang International Holding Co, un des principaux propriétaires hôteliers en Chine.

[2] Voir à ce sujet le réexamen de Fraçois Chesnais de la théorie de l’armée de réserve industrielle de Karl Marx dans le nouveau contexte de la mondialisation: La mondialisation de l’armée de réserve industrielle : la « délocalisation interne » dans l’agriculture (Carré Rouge n. 30, septembre 2004).

[3] Nous ne revenons pas ici sur le fait que, en régime capitaliste, le salaire versé ne correspond jamais au total de la valeur créée par la force de travail employée. Nous nous limitons à saluer le fait qu’une augmentation du taux horaire pour les femmes de chambre constitue la réappropriation importante par celles-ci d’une partie importante de la valeur qu’elles contribuent à créer quotidiennement à travers leur travail.

À lire

Nos lecteurs et lectrices peuvent aussi lire la présentation du film parue sur le site du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) à la sortie du film: https://npa2009.org/idees/documentaire-greve-de-denis-gheerbrant