Suite au dépôt d’une initiative parlementaire par le socialiste Roger Nordmann, le Conseil des EPF a décidé de suspendre le projet de doublement des taxes des deux écoles qui avait été voté début décembre 2012. L’initiative, soutenue par une large coalition de députés (toutes les fractions sont représentées) prévoit d’ajuster l’augmentation des taxes au renchérissement du coût de la vie pour les étudiantes dont les parents ont leur domicile fiscal en Suisse, et réserve la guillotine aux autres: le triplement des taxes est rendu possible!
Selon l’initiant, les parents des personnes touchées ne paient pas d’impôts en Suisse et ne participent donc pas au financement de l’éducation de leurs enfants. On retrouve tel quel le même argument dans la motion du député UDC Peter Keller qui exigeait un doublement des taxes pour les étrangers qui à ses yeux, viendraient, toujours plus massivement, profiter à moindre coût d’une éducation supérieure dans nos EPF. L’UDC, qui a fait depuis longtemps (et avec succès) de la xénophobie son fond de commerce politique, sait qu’elle ne doit pas craindre une forte opposition sur ce terrain-là. Le PS non seulement ne combat pas cette logique mais soumet une proposition qui surpasse celle de l’UDC et donne une fois de plus un signe fort d’unité nationale pour faire passer le paquet. L’argument a beau être dans l’air du temps, c’est pourtant indéniablement de la pure démagogie, du moins pour celles et ceux qui se basent sur les faits. Un rapide coup d’œil aux chiffres produits par l’Office fédéral de la statistique nous assure qu’en 2011, 2000 diplômes de Bachelor ont été décernés à des étudiant.e.s étrangers/éres. La même année, le marché suisse du travail s’accroissait de 27 000 travailleur.e.s étrangers/ères hautement qualifié.e.s! Donc, en réalité, ce sont nos entreprises qui profitent substantiellement plus, et gratuitement, des fonds que les autres pays mettent au service de la formation.
Quelles leçons en tirer? L’intiative Nordmann n’est qu’un premier pas au sein d’un projet global de hausse censée toucher l’ensemble de la population étudiante. Il cache un projet politique bien précis.
Cette évolution doit être interprétée comme la volonté politique d’accentuer la concurrence et l’élitisation des pôles universitaires (Loi fédérale sur l’encouragement des hautes écoles de 2011). Une réorganisation en découle, avec des mesures qui vont de la suppression des branches non rentables pour l’économie jusqu’à la hausse des taxes. En 2010, le secrétaire d’Etat (à l’époque) à la formation et à la recherche, Mauro Dell’Ambrogio trouvait envisageable des taxes à 8000 francs par année, cela parce que «ce qui ne coûte rien peut sembler ne rien valoir»; il faudrait donc au contraire selon lui créer un sentiment artificiel de qualité par une augmentation du prix de l’éducation. Cela dans le but d’inculquer aux jeunes des valeurs entrepreneuriales. Il faut qu’ils et elles perçoivent l’éducation comme un investissement, en capital humain, qu’il faudra faire fructifier sur le marché du travail dans un avenir le plus proche possible. Comme on peut lire sur le blog d’economiesuisse (la faîtière patronale): «Nous devons pousser l’étudiant […] à percevoir une formation comme un investissement pour son avenir.» Comme l’expérience l’a montré dans d’autres pays, une hausse des taxes forcerait les étudiants à travailler plus (ce qui a un effet néfaste sur leurs études) et à s’endetter. Cela permettrait non seulement de développer un marché du prêt lucratif pour les banques mais pousserait les étudiant.e.s à privilégier une formation courte et rentable afin de pouvoir rembourser leurs créanciers. La conséquence, à terme, serait de voir nos hautes écoles se muter en centres de recherche et de formation en sous-traitance pour les entreprises, ce qui se solderait par un appauvrissement réel de la diversité et du contenu du patrimoine intellectuel transmis.
Si l’initiative ne vise que les étrangers/ères, c’est pour éviter de se heurter à trop de résistance. Diviser pour mieux régner, dit l’adage. Cette nécessité est particulièrement bien illustrée par l’exemple zurichois, où la tactique a porté ses fruits. A deux reprises, les tentatives d’augmentation des taxes ont subi un échec face aux fortes mobilisations des étudiantes (en 2002 et en 2009). Suite à cela, la ministre de l’éducation Regine Aeppli (PS) a trouvé un moyen de faire passer la pilule: un doublement pour les étrangers et 80 francs de plus par semestre pour les autres. Autre spécificité: les médecins devront à l’avenir payer les taxes lors de leur semestre de stage où ils ne sont même pas à l’université. La tactique a atteint son objectif et les mobilisations ont très vite cessé. Mais ce revirement des autorités prouve aussi que les actions de résistance dont sont capables les étudiant.e.s lorsqu’ils et elles s’organisent collectivement peuvent faire et feront échouer les projets antisociaux.
Pour terminer rappelons que cette logique va totalement à l’encontre des engagements que la Suisse a pris en matière d’éducation:
«L’enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l’instauration progressive de la gratuité», comme il est mentionné dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 3 janvier 1976 (ratifié par la Suisse le 18 juin 1992)