Leur Escalade, notre détermination collective
Le mercredi 25 novembre, l’assemblée du personnel de la fonction publique, à la quasi-unanimité, a décidé de faire la grève le 1er décembre, une grève reconductible jusqu’au 3 décembre. Cette décision est d’importance. Elle traduit la détermination collective face à l’outrecuidance du gouvernement collégial. Elle comporte aussi la dimension de réponse à un défi: organiser un mouvement le plus large possible qui entre en écho avec les usagers. Et cela au début d’un mois de décembre où ce sont les guirlandes de Noël qui envahissent les rues. Et aussi les esprits, espère le Conseil d’Etat.
Le vrai «jeu de piste» du Conseil d’Etat
Après un ultimatum – autrement dit une mise en demeure de tout accepter – le Conseil d’Etat affirme que les mesures structurelles ne sont «que des pistes». Ces pistes, il veut les suivre. Les salarié·e·s de la fonction publique ne veulent pas les emprunter. Les services au public ne sont pas un jeu de piste. Le Conseil d’Etat a-t-il fait un stage chez les scouts?
L’autoroute empruntée par le gouvernement collégial (du MCG au PS, en passant par le PLR) est pourtant bien balisée:
1° La réduction de la masse salariale de 5% en trois ans et les charges du personnel de 1% aboutit à un étranglement. En chiffres, cela signifie pour l’Etat de Genève: 1800 emplois en moins. Pour le seul DIP, cela impliquerait la suppression de l’équivalent de 400 postes plein-temps au total, soit dans l’enseignement, l’administratif et le technique.
2° Cette compression du nombre des salarié·e·s des services au public s’opère dans une période bien précise. L’Office cantonal de statistique (OCSTAT) prévoit, pour la période de 2015 à 2018, une augmentation de 18’000 habitants, en prolongeant les tendances démographiques actuelles. Quelles conséquences pour l’enseignement secondaire II? Une augmentation d’environ 400 élèves. Et pour l’ensemble du secteur à la charge du DIP: 2062 élèves en plus. Des répercussions analogues existent pour les autres branches des services au public, donc aux usagers. Ces prévisions ne sont pas contestées par les chefs scouts du Conseil d’Etat et leur garde rapprochée. La «réduction des charges du personnel» va se traduire, par exemple dans l’instruction publique, par le non-remplacement pendant des mois d’un poste à repourvoir et des enseignant·e·s absents. Cette situation est déjà tangible. Elle se généralisera. Et les projets «d’école inclusive» ou de baisse des effectifs en classe dans le secondaire vont relever de la pure rhétorique.
3° La loi «Personal stop» (gel du total des postes) aboutit à mettre en concurrence un service au public contre un autre. Cela au moment où chaque service sera mis encore plus sous pression par la hausse de la population et des besoins sociaux qui en découlent. Pour l’éducation, les chiffres sont clairs. Pour la santé, l’essor des emplois temporaires dans les HUG est déjà un indicateur des effets de ce type de gestion qui épuise les soignants et que ressentent les patients. Or, dans cette conjoncture, le Conseil d’Etat propose une recette de mise en concurrence utilisée dans les entreprises du privé et connue sous le nom de «gouvernance participative»: «consulter les collaborateurs pour qu’ils indiquent anonymement des bonnes pistes, dans chaque service» (M. Poggia). Dans quel but? Accroître le «rendement», autrement dit auto-gérer le blocage du personnel. Puis la garde rapprochée de l’exécutif opposera les propositions d’un service à celles d’un autre. Il n’y a pas de «stop» pour la division et la mise en concurrence.
A cette méthode s’ajoute la «facilitation des licenciements». Traduisons: un chantage et des menaces diffusés par des fractions de la hiérarchie. Un piège plus gros que les tromperies sur la dette.
Les besoins des usagers et des salarié·e·s face à «leur dette»
- Faisons encore le point sur la dette qui est de 13,4 milliards (chiffre de fin 2014).
1° Les réductions fiscales de 2000, 2007 et 2009 ont chapardé aux recettes de l’Etat 1,2 milliard de francs par année!
2° La dette a augmenté de 2,2 milliards en transférant les pertes liées aux opérations spéculatives et douteuses de la BCGE sur le dos des finances publiques, donc aussi sur les impôts de l’ensemble du personnel de la fonction publique et, plus généralement, de tous les salarié·e·s.
3° La «vérité sur la dette» peut être énoncée ainsi. Sans les cadeaux fiscaux faits aux riches et aux firmes ainsi qu’aux sociétés holdings, depuis 2000, et en tenant compte de l’entrée en vigueur effective de chaque réduction d’impôt, la dette s’élèverait à 3 milliards toutes choses égales. On peut l’estimer de manière robuste à trois fois plus si les investissements physiques et en personnel avaient été à la hauteur des besoins auxquels devrait répondre une politique de sécurité et d’égalité sociales.
Ce n’est pas un hasard si l’agence de notation Sandard & Poor’s, en date du 16 novembre 2015, estime que «les capacités d’endettement du canton comme de la ville de Genève» méritent la note «stable à long terme».
Ainsi, dans le contexte financier international actuel, une restructuration d’une partie de cette dette à des taux d’intérêt voisinant le 0% serait possible. Ce que les firmes épargnées par le fisc du canton de Genève savent faire pour leurs diverses opérations de spéculation, de rachat d’actions, de fusions et acquisitions, de restructuration de leur propre dette!
- Enfin, qu’on ne nous ressorte pas la statistique du ratio entre «nombre de fonctionnaires» et population. Genève est non seulement un canton-ville, mais constitue le centre socio-économique d’une région (transcantonale-transfrontalière) qui compte 600’000 habitants. Diverses études démontrent que la densité de salarié·e·s du public est convergente pour un canton comme Genève et Bâle-Ville.
L’origine de cette densité n’est pas un mystère. Elle est le résultat normal de l’ensemble des tâches d’infrastructures sociales, sanitaires, de gestion des transports et de l’environnement, de la centralité du large éventail du système d’éducation. Ces études montrent, pour ce genre d’agglomération, que le ratio salarié·e·s du public/population est accru par l’encadrement administratif nécessaire à l’organisation des flux transfrontaliers de main-d’œuvre et à la composition internationalisée de la population. Des facteurs qui font, par ailleurs, la dynamique de cette ville-région. Sandard & Poor’s n’affirme-t-elle pas: «L’économie genevoise affiche par ailleurs de bonnes performances en comparaison internationale. Budgets et gouvernements sont considérés solides.»
Un Non au Conseil d’Etat, la précondition pour une autre voie
L’échéance du 1er décembre est décisive. Elle constitue un test pour démontrer une détermination collective et proclamer: «Nous voulons nous engager sur une autre voie.» Elle est autrement balisée. Elle se profile ainsi: 1° donner un signal à l’ensemble des usagers que les services au public doivent être renforcés; 2° affirmer que pour ce choix de société l’ensemble des salarié·e·s du service public doivent disposer de conditions de travail adéquates permettant de répondre aux besoins diversifiés de la population; 3° refuser de sélectionner l’accès aux services publics – de la santé à l’éducation en passant par l’étayage social – selon un système de triage social actionné par l’éventail des revenus disponibles et la politique budgétaire (avec son volet de privatisations et de sous-traitance pour usagers sous-traités).
- L’assemblée générale continuera à être le cœur irriguant à la fois le corps des salarié·e·s des services au public et les composantes du Comité de lutte.
- Les expériences de la mobilisation précédente peuvent être prolongées et amplifiées dans des secteurs clés: hôpitaux, administrations, Hospice général… Plus de signaux d’alarme s’allumeront dans tous les départements des services au public, plus seront mises en échec les opérations de mise en concurrence et de division.
Faire retirer les réformes structurelles et la politique d’austérité budgétaire est la précondition pour indiquer au Conseil d’Etat d’autres voies. Les salarié·e·s de la fonction publique les connaissent à partir de leur expérience de travail, de leur conscience professionnelle, du dialogue quotidien avec les étudiants, les élèves, les patients, les personnes ayant besoin d’un étayage social, etc. Ils n’ont pas besoin que leur cœur et leur esprit soient sondés par la «consultation anonyme» du docteur ministre de l’Emploi et des affaires sociales. Les salarié·e·s connaissent les besoins et les remèdes.
- La fin de non-recevoir du Conseil d’Etat, des négociations en trompe-l’œil exigent une détermination raisonnée. Des comités d’usagers – entre autres dans la santé, l’enseignement obligatoire et post-obligatoire (élèves et parents), etc. – en liaison avec des groupes de travail sectoriels permettraient de prendre appui sur deux supports: 1° la récolte massive pour le référendum contre le «Personal stop», avec des stands dans le canton durant la période de décembre et début janvier, avec un tous-ménages s’adressant aux usagers, dans lequel salarié·e·s et usagers prennent la parole; 2° la préparation, à partir des actions sur le lieu de travail, des échéances possibles du 2 et 3 décembre et du pont allant de décembre à janvier.
Comme il y a eu rencontre symbolique sur le pont du Mont-Blanc, le 11 novembre, entre «le privé et le public», un autre pont peut être établi entre toutes les expériences pleines de créativité développées sur les lieux de travail. Elles pourront déjà être communiquées lors du rassemblement et de la manifestation à 17 heures. Réseaux de mobilisation et de communication – entre salarié·e·s de la fonction publique et usagers – vont de pair. D’où la nécessité de débattre, déjà, des initiatives possibles, diverses, en janvier 2016. (MPS, 1er décembre 2015)
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