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Les enjeux de la nouvelle Loi sur l’asile (I)

Nous reproduisons l’intrevention que Dario Lopreno a faite lors de l’après-midi de formation et de discussion organisé le 24 novembre dernier par le Cercle la brèche. Ce texte, qui sera publié en trois parties, offre les arguments et les éléments de compréhension nécessaire pour asseoir les convictions de conduire un référendum. Afin de donner une « profondeur historique » aux révisions de cette loi, nous renvoyons à l’article de Dario Lopreno Politique d’asile: la descente aux enfers que nous avons repris sur ce blog.
Cercle la brèche

Par Dario Lopreno

Les grands points du référendum[1]

Les nouvelles dispositions se décomposent ainsi:

  • Suppression des procédures d’asile dans les ambassades. Elles permettent l’entrée légale en Suisse de certaines parmi les personnes les plus menacées. Dorénavant, elles devront aussi tenter d’accéder illégalement à l’Europe, à la merci des réseaux et aléas dramatiques des routes migratoires (selon Migreurop, depuis 20 ans en moyenne 2 à 3 personnes périssent chaque jour en tentant de venir en Europe, soit quelque 17’000 morts). La procédure d’ambassade permet à un petit nombre de personnes d’éviter ces dangers (d’après l’Office fédéral des migrations – ODM, de 2003 à 2011, en moyenne 2970 demandes par an ont été déposées dans les ambassades ; environ 9/10 de ces demandes seraient écartées par non-entrée en matière [2]). Nous avons donc affaire à une restriction quantitativement insignifiante bien que très grave pour les personnes concernées, mais symboliquement importante, et de fait déjà appliquée par les ambassades de Khartoum (majorité de demandes d’Érythréens) et du Caire (majorité d’Irakiens) notamment [3].
  • Suppression de la désertion comme motif d’asile. Des jeunes refusant de servir des dictatures seront sans protection. Les Érythréens, par exemple et actuellement principalement, du fait de leur refus de servir la dictature militaire de longues années durant, s’exposent à des détentions arbitraires et à des tortures, ce refus étant considéré par le régime comme un acte d’opposition politique des plus graves. Cette modification de la LAsi viole, selon le Haut commissariat aux réfugiés (HCR), la convention de 1951 sur les réfugiés [4]. Sa dureté réside aussi dans le fait qu’elle est une réaction du politique contre l’indépendance de la justice, pour annihiler une décision du Tribunal administratif fédéral (TAF) de 2005 reconnaissant – conformément à l’interprétation du HCR – que les Érythréens objecteurs de conscience ou déserteurs sont exposés à des risques trop graves et qu’ils doivent être considérés comme des réfugiés politiques [5].
  • Centres spécifiques de détention sans motif ni jugement ; ce sont des camps d’internement ; cette mesure revient en fait à une extension des mesures liberticides de contraintes. La mesure urgente prévoit des centres spécifiques où sont envoyé ceux qui n’ont commis aucun délit, mais dont le comportement ne plaît pas aux gestionnaires de l’asile. Dans le débat parlementaire, certains ont parlé de camps d’internement fermés. Le « centre spécifique » est un premier pas vers le projet de l’UDC qui a déjà annoncé le lancement d’une initiative pour des camps d’internement pour tous les demandeurs d’asile. Désormais, la notion de « récalcitrant », non définie, vient allonger la liste du processus de criminalisation du requérant d’asile qui pourra être enfermé sans décision écrite ni contrôle judiciaire.
  • Procédures d’asile dérogeant à la loi. Le parlement autorise le Conseil fédéral à expérimenter des procédures tests, sans base légale, en dérogation à la loi sur l’asile. Cette dérogation est contraire à la séparation des pouvoirs et au fonctionnement démocratique des institutions. Une mesure-test a d’ores et déjà été annoncée, la réduction des délais de recours à une peau de chagrin, passant de 30 à 10 jours pour un nombre encore indéfini de demandeurs d’asile, sachant qu’il est plus que difficile de recourir contre une décision en 10 jours pour quelqu’un qui ne maîtrise pas la langue et qui ignore nos lois.

Ces mesures ne ressortissent à aucune urgence. La décision du Parlement d’apposer l’urgence implique d’une part leur validité pour deux ans et d’autre part que, même si le vote référendaire contre ces mesures était majoritaire, elles resteraient en vigueur pour un an. C’est donc une procédure de forcing antidémocratique, d’autant plus qu’il n’y a strictement aucune urgence dans les mesures adoptées.

Après avoir démonté le droit d’asile par les innombrables révisions et modifications, tout en gardant un simulacre très présentable de droit d’asile, les autorités peaufinent ainsi la marginalisation et la criminalisation des requérants, déjà largement entamée paradoxalement tant avec le rallongement de fait des procédures (autour de 1400 jours en moyenne [6]) qu’avec leur fort raccourcissement annoncé (120 jours?), avec les centres de semi-détention que sont les centres d’enregistrement, avec l’introduction de l’aide sociale d’urgence (pour les non-entrées en matières, et les personnes sous délai de départ), avec la multiplication des non-entrées en matière, avec l’intégration des accords européens de Dublin, avec la définition des pays sûrs et la procédure en 48 heures pour les demandeurs exemptés de visas issus des Balkans, avec les mesures de contrainte et les expulsions, etc. Il est à la fois significatif et inquiétant de souligner ici le fait que le tout premier paragraphe du Message du Conseil fédéral concernant la modification de la LAsi met en relief la nécessité de « simplifier la procédure de non-entrée en matière », d’accélérer le traitement des demandes afin d’éviter que la procédure ne soit pas « retardée de manière abusive par le dépôt de demandes infondées »[7].

Le contexte immédiat

La Loi sur l’asile, entrée en vigueur en 1981, a subi officiellement 6 révisions [8]. Mais en réalité sa révision – à de très rares exceptions près toujours aggravante – est permanente depuis 1983, chaque révision ou modification étant anticipée par le durcissement de la pratique, par des règlements restrictifs, par des arrêtés fédéraux liberticides, etc. En outre, au Parlement, la pression dans ce sens est constante: les parlementaires fédéraux déposent des centaines de motions, postulats et questions sur l’asile, les clandestins (un requérant d’asile est généralement clandestin en entrant sur le territoire), dans l’écrasante majorité des cas pour aménager des restrictions légales supplémentaires. Cela a pour résultat de quasi invalider dans les faits le contenu de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (Convention de Genève) et de précariser le déjà très précaire droit d’asile en vigueur. Dès les années ’80, au centre des débats de chaque révision et autour de chaque modification normale ou urgente, se trouvent les cinq questions-fantasmes de l’afflux des requérants d’asile, du faux réfugié, des abus, de la récalcitrance et de la criminalité des requérants. Aujourd’hui, alors que le référendum contre les dernières mesures d’urgences est en cours, une nouvelle révision de la LAsi est déjà amorcée qui sera à l’ordre du jour de la session d’hiver du Parlement. Les propositions proviennent de toute la droite mais certaines aussi de la gauche institutionnelle, d’autres plus spécifiquement du Département fédéral de justice et police (DFJP) par la bouche de la conseillère fédérale socialiste Simonetta Sommaruga, qui a su se mettre dans les peaux de ses prédécesseurs, Blocher et Wydmer-Schlumpf. Ces propositions sont les suivantes [9] :

  • Faire passer la durée moyenne de traitement d’une demande de 1400 à 120 jours, autrement dit, dans les circonstances actuelles, la liquider au pas de charge.
  • Garder les vols spéciaux pour les requérants déboutés « récalcitrants », ce qui signifie poursuivre la politique d’expulsion, inacceptable en tant que telle, mais en plus avec des méthodes qui peuvent atteindre une violence physique et psychique élevées.
  • Faire prendre en charge au moins 80% des demandes d’asile par la Confédération, dans des centres d’enregistrement fédéraux dont les capacités passeront globalement de 1200 à 3000 places, créant des supercentres avec toutes les difficultés de vie et tensions voire explosions que cela engendre et permettant d’être encore plus expéditifs.
  • Instaurer une phase préparatoire précédant la procédure d’asile, notamment afin d’accélérer les expulsion selon les accords de Dublin et les non-entrées en matières.
  • Organiser de manière régulière un échange d’informations entre le Département de justice et police et le Tribunal administratif fédéral ; il est difficile de juger une telle mesure a priori, mais il est aussi difficile d’être optimiste.

Plus concrètement, comment vont être mises en application ces mesures, avec quelles garanties juridiques, à quels conditions financières, sous quelles pressions du Parlement qui décidera en dernier ressort?

À l’heure actuelle la conseillère fédérale Sommaruga estime le coût de ces changements à 67 millions de francs, somme qu’elle prévoit être décroissante puis nulle au bout de 7 ans du fait des économies engendrées. C’est de toute évidence une estimation volontairement totalement aléatoire, infondée comme en fait systématiquement la Confédération lorsqu’elle présente ses projets, prévision destinée à endormir ceux qui peuvent ou qui veulent l’être. Plus largement, la conseillère fédérale propose une réforme complète du système et donc de la législation de l’asile ; cela ne peut que nous inquiéter.

Du Parlement viennent une trentaine de motions et interpellations non encore réglées, proposant d’enfermer tous les requérants, de diminuer l’aide sociale qui pourrait n’être plus que de l’aide d’urgence pour tous (« l’aide sociale accordée aux requérants est en moyenne générale inférieure de 30% à celle dont disposent les Suisses », précisent pourtant la conseillère nationale libérale-radicale Christine Egerszegi et la conseillère fédérale socialiste Simonetta Sommaruga [10]), de diminuer les coûts en matière de santé des requérants, de supprimer le regroupement familial pour les personnes admises provisoirement, etc.

Signalons également que l’UDC s’apprête à lancer une nouvelle initiative contre le droit d’asile, demandant notamment l’enfermement de tous les requérants dès le dépôt de leur demande [11]. Tandis que, sur le plan plus largement migratoire – la xénophobie générale participe aussi au renforcement des tendances anti-requérants d’asile – deux initiatives pour limiter l’immigration sont en attente d’être traitées par le Parlement puis soumises au vote fédéral, l’une déposée par l’UDC intitulée «Contre l’immigration massive» [12], l’autre de l’association ECOPOP (Écologie et population), intitulée «Halte à la surpopulation. Oui à la préservation durable des ressources naturelles» [13]. L’UDC est également en train de récolter les signatures pour une initiative dite de « mise en œuvre » du renvoi des « étrangers criminels » [14].

Deux autres aspects contextuels importants sont à mentionner ici. D’une part le fait qu’avec la dégradation rapide (prochaine?) de la situation dans certains pays d’Europe – notamment en Europe balkanique, nous ne parlons pas ici uniquement des pas de géant de la pauvreté et de la misère dans cette région – les autorités suisses se posent la question de tenter de limiter de futures entrées de requérants d’asile en plus grand nombre qu’aujourd’hui. D’autre part, avec les insurrections en Afrique du Nord, les murailles anti-immigration et anti-réfugiés de la Lybie, de la Tunisie et, dans une moindre mesure, de l’Égypte, sont tombées, induisant un nouveau et n-ième durcissement des politiques d’asile et de surveillance des frontières dans toute l’Europe et en Suisse. C’est aussi à cela qu’il faut rattacher les mesures urgentes modifiant la LAsi.


1/ Cf. Les argumentaires du comité d’initiative et des associations qui lancent le référendum ; asile.ch, sur http://www.asile.ch/vivre-ensemble/tag/referendum/?silverghyll_tpicker=tag%3Dreferendum ; Assemblée fédérale, Projet de la Commission de rédaction pour le vote final, Modifications urgentes de la loi sur l’asile, modification du 28 septembre 2012.

1/ Xavier Alonso, Témoignage d’une arrivée en Suisse via une ambassade, Tribune de Genève, 20/09/2008 et Valérie von Graffenried, L’asile dans les ambassades, l’exception suisse menacée, Le Temps, Genève, 07/09/2011.

3/ Michel Féraud, Bericht üuber die Asylgesuche irakischer Staatsangehöriger auf den schweizerischen Vertretungen in Damaskus und Kairo zwischen 2006 und 2008, im Auftrag des EJPD, Bern, 22/12/2011 et Glättli Balthasar, Question 12.1054, Pas d’auditions de demandeurs d’asile à l’ambassade de Khartoum?, déposée le 12/06/2012 au Conseil national.

4/ UNHCR, Handbook  on Procedures and Criteria for Determining Refugee Status under the 1951 Convention and the 1967 Protocol relating to the Status of Refugees, Part one, Criteria for the Determination of Refugee Status, Chap. V,. Specials cases. B. Deserters and persons avoiding military service.

5/ Arrêt de la Commission de recours en matière d’asile (CRA) du 20 décembre 2005 (JICRA 2006, 3/29).

6/ Valérie de Graffenried, Simonetta Sommaruga, l’icône des procédures d’asile accélérées, quotidien Le Temps, Genève, 24/09/2012.

7/ Conseil fédéral, Message concernant la modification de la loi sur l’asile, Berne, 26/05/2010, p. 4036, Condensé.

8/ 1ère révision en 1983-84, 2ème révision 1985-88, 3ème révision 1990, 4ème révision 1994, 5ème révision 1995-99, 6ème révision 2000-06.

9/ ODM, Synthèse des résultats de la procédure d’audition du 7 juillet 2011 au 4 août 2011. Message complémentaire concernant la modification de la loi sur l’asile (rapport du DFJP sur des mesures d’accélération dans le domaine de l’asile), Berne, août 2011 et base de données des objets parlementaires fédéraux Curia Vista.

10/ Valérie de Graffenried, L’aide d’urgence cristallise les crispations, 12/09/2012, quotidien Le Temps.

11/ Toni Brunner, L’UDC prépare une nouvelle initiative sur l’asile, Berne, 01/10/2012, sur le site Internet de l’UDC.

12/ UDC, L’UDC dépose l’initiative Contre l’immigration de masse, Communiqué de presse, Berne, 14/02/2012.

13/ Xavier Alonso, Boostée par Franz Weber, l’initiative Ecopop s’impose, quotidien 24 Heures, Lausanne, 18/10/2012 (article reproduit sur le site d’Ecopop).

14/ Cf. http://www.initiative-de-mise-en-oeuvre.ch/