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Austérité : l’université n’est pas à l’abri

EducationCe texte a été distribué par le Cercle La Brèche lors de la manifestation des travailleur·e·s et des usager·e·s du service public – 1200 selon les organisateurs (syndicat SSP) – contre les coups budgétaires prévus pour 2014, qui a eu lieu a Fribourg ce vendredi 4 octobre. Même si la participation étudiante à cet événement a été très faible, le texte a été bien accueilli par les personnes présentes. En effet, l’analyse qu’il développe enrichit les discours principaux de cette mobilisation du secteur public, en se focalisant sur le rapport entre austérité et enseignement supérieur et en l’insérant dans le cadre plus large des modifications en acte autant au niveau suisse qu’européen. Finalement, ce document ouvre à bien plus des questions importantes qu’il faudra aborder et développer pour parvenir à une compréhension plus profonde des changements en matière d’enseignement public. On y reviendra donc pendant les semaines à suivre. (CLB)

Par Aris Martinelli

Le 9 septembre 2013, le Conseil d’État du Canton de Fribourg a présenté la version définitive de son programme d’austérité pour la période 2013-2016 qui prévoit de dégager 416 millions de francs. Plus d’un tiers des coupes budgétaires (170 millions) visent la fonction publique. Ce programme doit encore être mis à l’ordre du jour du Grand Conseil lors de sa prochaine session, ce mois. Sa première version avait été élaborée et mise en consultation en mai. Plusieurs critiques se sont élevées contre le sort réservé aux salarié·e·s du secteur public: baisse linéaire des salaires de 0,9%, limitation des embauches, frein à la progression des salaires en jouant sur les paliers, introduction d’une contribution de solidarité, etc. Près de 5 000 personnes ont répondu présent, le 14 juin, pour protester à l’occasion d’une manifestation organisée par les instances de la Fédération des associations du personnel du service public du canton de Fribourg (FEDE). Au-delà de son caractère «défensif», cette manifestation a montré la colère d’une partie du personnel concerné contre ces mesures. Le Conseil d’État a fait marche arrière en revoyant à la baisse ses exigences, en renonçant ainsi à 20 millions sans pour autant renoncer à la «nature» profondément antisociale du plan budgétaire. Dans cet article, nous souhaitons souligner les effets que les mesures d’austérité produiront sur le secteur de l’enseignement, en focalisant notre attention sur l’Université de Fribourg. On s’apercevra qu’elles s’inscrivent en continuité avec la révision en cours de la Loi sur l’Université, contre laquelle plusieurs étudiant·e·s, parmi lesquel·le·s ceux et celles du Cercle La brèche, ont déjà manifesté leur opposition.

L’université aussi contrainte aux mesures d’austérité

Le Conseil d’État fribourgeois propose une révision du budget cantonal basée sur quatre leviers: pression sur les salaires et restriction dans le recrutement du personnel, réduction linéaire généralisée des montants accordés à certains secteurs clés (celui de la santé, du social, etc.), restructuration de l’administration et des services pour en augmenter la productivité et, du côté des recettes, relèvement des coûts des prestations (émoluments et taxes). Cette dernière mesure accélère une transformation déjà amorcée par le service public vers un modèle qui repose sur le principe du client-payeur. L’enseignement aux niveaux secondaire et professionnel est particulièrement touché, en témoignent la hausse du prix des repas (et aussi de l’hébergement pour les institutions spécialisées), l’augmentation des taxes d’études pour les hautes écoles spécialisées (HES), et celle des écolages dans certaines filières du post-obligatoire, ainsi que la réduction des subventions accordées à l’entretien des bâtiments scolaires, etc. À cela, il faut encore ajouter les mesures, dont nous connaîtrons les détails seulement dès la fin du mois d’octobre, pour baisser la masse salariale dans le secteur de l’enseignement.

L’université n’est évidemment pas épargnée par ces mesures. 7,7 millions de francs d’économies devraient être réalisées rien qu’en 2014-2016. Comment? En abandonnant certains projets académiques et en asséchant des enseignements, avec les effets néfastes que cela implique sur la qualité de l’enseignement. Dans le message qui accompagne le plan des mesures structurelles, le Conseil d’État affirme que «l’université devra opérer des changements structurels à l’interne et procéder à des réallocations des moyens au sein des facultés». Il est certain qu’aucune création de postes n’est prévue pour 2014 et que le recrutement du personnel se fera au compte-goutte en 2015 et 2016. Ceci dit, ces mesures sont déjà planifiées depuis longtemps comme l’attestent les déclarations de l’ancienne Conseillère d’État chargée de l’éducation,Isabelle Chassot, lors du dernier Dies Academicus.

Les mesures de restructuration prévues dans la «stratégie 2020», élaborées pour «développer» l’Université de Fribourg, prévoyaient déjà la suppression d’unités d’études, l’abandon progressif de certains départements et la rationalisation des services. Il y a fort à craindre que ces mesures soient ultérieurement renforcées au détriment des étudiant·e·s, de la pluralité de l’enseignement et de la recherche, mais aussi, last but not least, de la démocratisation des études par un accès élargi aux couches sociales défavorisées. Si la nouvelle Loi sur l’Université de Fribourg entrera en vigueur, elle favorisera l’application de ces mesures, puisque le rectorat aura les «pleins pouvoirs» pour supprimer des unités d’études et augmenter les taxes, sans qu’aucune de ses décisions ne soit soumise à l’aval du gouvernement cantonal. Nous vous invitons à lire le n°1 de notre dossier La brèche, où nous présentons la loi plus en détail.

Trois autres dispositions doivent néanmoins attirer notre attention pour saisir toute la portée des transformations à l’œuvre dans l’éducation supérieure. La première est l’augmentation des taxes d’études dans les diverses hautes écoles spécialisées de Fribourg (connues sous le label HES-SO//FR). Cette décision s’inscrit dans une tendance en cours à l’échelle nationale qu’internationale vers une hausse généralisée des frais de scolarité (voir à ce propos l’article «Mythes et réalité de la hausse des taxes en Suisse», paru dans le n°6 de notre journal). Il faut ensuite mentionner, deuxièmement, la décision du Conseiller d’État en charge de la Direction de l’économie et de l’emploi d’effectuer un audit sur l’enseignement dispensé par les HES. Une restructuration d’envergure des hautes écoles spécialisées du canton est donc prévisible pour les années à venir, dont l’ampleur sera comparable à celle que connaît à ce jour la Faculté des sciences économiques et sociales de l’Université de Genève (voir à ce sujet les différents articles parus sur notre blog). La troisième disposition est la réduction des subventions accordées aux étudiant·e·s défavorisé·e·s par le biais des bourses d’études. Cette mesure est à ce stade encore un projet et nécessiterait un approfondissement spécifique, incluant le débat autour de l’initiative populaire sur les bourses lancée par l’Union des étudiant·e·s de Suisse (UNES). Nous y reviendrons dans le prochain numéro du journal.

Un contexte marqué par un alarmisme préparatoire

La mise en place des mesures d’austérité s’appuie sur une prétendue «nécessité économique» reposant sur les trois points suivants:

1° La croissance démographique du Canton de Fribourg est la plus haute en Suisse. En découle une demande accrue de services touchant aux domaines de la formation, des transports, de la santé, etc., dont personne ne voudrait prendre en charge les coûts. Signalons à ce propos la une du magazine Echo, publié par la Chambre de commerce et d’industrie de Fribourg (CCIF), et repris aussi par La Liberté du 26.2.2013, qui qualifiait le canton comme une «bombe humaine».

2° La «chute» relative du bénéfice cantonal de 2012 qui n’était «que» de 40 millions de francs avant la clôture des comptes. De plus, le budget 2013 prévoit un déficit de plus de 100 millions. Tous ont crié au scandale! «Un budget accouché dans la douleur» titrait La Liberté du 29.9.2012. Comme si après 10 ans d’exercices excédentaires, Fribourg avait loupé son premier examen de rigueur budgétaire. Le recours à des provisions, et même à sa fortune (évaluée à environ un milliard de francs), a pourtant permis à l’État de Fribourg de boucler le budget 2013 avec un bénéfice de 500 000 francs. Ce résultat est présenté comme un «signal» alarmant annonçant un grave déséquilibre des finances publiques cantonales qui n’atteignant plus des chiffres florissants. De plus, les prévisions pour les prochaines années ne semblent pas non plus très roses. Ainsi, l’État devrait puiser dans ses réserves pour atteindre le principe d’équilibre financier inscrit dans la Constitution cantonale.

3° L’exemple stoïque d’autres cantons confrontés à des difficultés économiques. Les cantons de Saint-Gall et de Berne viennent en effet de procéder à un «ambitieux programme d’allégement». De plus, selon les résultats d’une enquête menée par la Neue Zürcher Zeitung (NZZ) et citée par le Conseil d’État fribourgeois, seize cantons envisagent d’appliquer des mesures d’économies en 2014.

Or, ce type d’argumentation néglige plusieurs aspects. Le canton de Fribourg est parmi ceux qui ont connu de très grands bénéfices au cours des dix dernières années. Une grande partie de sa fortune est «affectée» à des buts précis tels que la promotion économique du canton ou des investissements plus que discutables. De plus, en ce qui concerne la politique fiscale, le canton a joué activement la carte de la concurrence fiscale en octroyant plusieurs cadeaux fiscaux au cours des dix dernières années, dont le montant est estimé à environ 180 millions par an. Les principaux bénéficiaires sont les entreprises et les grands revenus; sans compter que Fribourg applique un régime fiscal «d’exception» pour plus de 1700 entreprises (holdings et sociétés mixtes), lesquelles ne payent presque pas d’impôts. Le manque à gagner atteint 70 millions d’après certaines estimations.

Voilà donc quelques éléments qu’il faut garder à l’esprit quand on nous parle de «déséquilibre» des finances publiques et de «symétrie des sacrifices». En effet, si on prend en considération la combinaison entre politiques fiscales et coupures budgétaires, la conclusion qui s’impose est toute autre: à savoir que derrière les appels à la «responsabilité citoyenne» de Georges Godel, se cache bel et bien une ultérieure tentative de transférer la richesse sociale produite par la grande majorité de la population vers une minorité de «riches» privilégiés. L’alarmisme autour de la dette publique (crainte d’une accumulation de déficits) et le principe constitutionnel d’équilibre financier constituent précisément l’instrument pour ce transfert de richesse. C’est pourquoi dans ce contexte il nous paraît important de poser le problème à l’envers, en mettant avant tout les réels bénéficiaires de la part de richesse sociale, récoltée par l’intermédiaire des impôts et distribuée par le biais des politiques publiques, devant leurs responsabilités.