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À propos du livre « La madre di tutte le guerre » de Antonio Moscato

Par Giovanni Giunco

Antonio Moscato
Antonio Moscato

 “Premier conflit mondial 1914-18. La mère des toutes guerres” (Edizioni La. Co. Ri.) est un livre d’une centaine de pages. Encore un ouvrage sur la première Guerre mondiale, pourrait-on dire ! Toutefois, l’ouvrage d’Antonio Moscato [1] est un effort à contre-courant – et donc nécessaire – des différentes analyses du conflit qui circulent aussi bien dans les milieux académiques qu’auprès de” l’opinion publique”. L’auteur présente au lecteur les événements principaux qui dévoilent la propagande bourgeoise caractérisant cette période du centenaire de l’éclatement de la guerre.

Le mythe d’une guerre qui personne n’aurait voulu

Les spécialistes – politologues et historiens – semblent partager l’opinion selon laquelle, dans un monde interconnecté économiquement et cosmopolite comme celui de l’Europe du début XXe siècle, la guerre a été un accident politique que les bourgeoisies nationales ne voulaient pas vraiment. Toutefois, la montée en puissance de l’impérialisme des pays européens, qui était caractérisé par la course aux armements et la signature de traités d’alliances secrètes, révèlent des scénarios différents de ceux déployés par les théoriciens néolibéraux. En réalité, la guerre a représenté un débouché nécessaire dans un contexte de concurrence entre puissances impérialistes, car elle a permis de créer de nouvelles opportunités d’accumulation du capital pour les industries nationales. En particulier, l’industrie de guerre a profité des ventes d’armes aux futurs pays belligérants, cela avant même que le conflit n’éclate, tandis que d’autres secteurs industriels “civils” se convertissaient par la suite en industrie de guerre.

“Démocraties” contre “régimes autocrates” ?

Une autre idée répandue est celle qui affirme que la guerre a été un affrontement entre deux “blocs” : les régimes soi-disant démocratiques (Angleterre, France et États-Unis) et ceux autocratiques et impériaux (Empire allemand, Empire austro-hongrois et Empire ottoman), les premiers étant jugés meilleurs que les seconds, et donc dignes d’être soutenus. Toutefois, Moscato nous montre comment le mépris pour les masses de soldats mobilisés – pour la plupart paysans – a été un trait commun de l’attitude de tous les officiers, en dépit de leur appartenance à un camp ou l’autre. De plus, le comportement vis-à-vis des habitants autochtones des colonies montre que dans les différents pays a eu lieu une sorte de course à l’atrocité qui a causé un nombre élevé de morts. Un autre élément à souligner a trait à l’intervention et au financement en faveur des armées blanches dans le contexte de la guerre civile en Russie, devenue entre-temps République soviétique, et qui a vu se dresser contre elle l’action conjointe des puissances belligérantes, indépendamment de leurs camps. Mais la Russie tsariste que le camp soi-disant démocratique a soutenue, était elle-même un régime profondément réactionnaire, allié à l’Angleterre et la France. Enfin, si l’on regarde le cas de l’Italie, on s’aperçoit qu’elle est entrée en guerre une année après son éclatement contre ceux qui étaient auparavant ses alliés historiques : l’Allemagne et l’Empire austro-hongrois.

Une guerre qui devait mettre fin à toutes les guerres

Il semblerait que n’ayant réussi à éviter une guerre dont personne ne voulait, les puissances qui l’ont “gagnée” aient par la suite tenté de poser les jalons de nouvelles structures pour qu’une telle atrocité ne puisse plus jamais se produire. En réalité, Moscato arrive efficacement à démonter cet argument, mettant en lumière une série d’éléments qui laissaient facilement présager de la faillite d’un tel projet de paix, poursuivi sans aucune conviction. Ces éléments renvoient à la nouvelle répartition des colonies laissant des puissances insatisfaites et aux conditions extrêmement dures imposées aux États sortis “perdants” de la guerre. De plus, en dépit de la fondation de la Société des Nations, à l’époque privée de la puissance naissante des États-Unis, et des déclarations en faveur de paix, les puissances européennes sont restées sur le fond agressives, dans un contexte bientôt caractérisé par la crise économique internationale des années 1930.

Moscato - La madre di tutte le guerreLa responsabilité de la social-démocratie : la guerre et la contre-révolution

Moscato analyse le rôle joué par une grande partie des partis sociaux-démocrates européens dans l’éclatement de la guerre. Il faut rappeler ces responsabilités, car elles pèsent beaucoup sur les épaules de ceux qui se revendiquent de cette tradition politique. Il ne s’agit pas seulement d’un appui passif aux bourgeoisies nationales, comme le prétend de nos jours une certaine mythologie sociale-démocrate, mais d’un soutien concret fait d’accords avec des gouvernements réactionnaires et avec des cadres des armées des pays en guerre pour stopper la montée des mouvements contre la guerre qui étaient en train de se propager au sein même du mouvement ouvrier européen. Suite à la prise du pouvoir des bolcheviques en Russie (octobre 1917), la social-démocratie s’est définitivement alignée sur la bourgeoisie. Ce type d’attitude débouchera aussi sur des crimes commis à l’instar des socialistes révolutionnaires, comme celui de l’assassinat de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht, mais aussi sur la volonté de bloquer les processus révolutionnaires en Allemagne (1918-19) et en Autriche (1918-19) en favorisant ainsi l’ascension du nazisme et de la deuxième guerre mondiale.

“La mère de toutes guerres” est un livre qui vaut la peine d’être lu, car il fournit, de manière synthétique, une série de données utiles pour comprendre les dimensions du drame humain constitué par la première guerre mondiale. Ce livre, tout en nous proposant une vision d’ensemble des événements principaux du conflit, se focalise également sur le rôle joué par l’Italie dans la guerre, sans pourtant oublier de dévoiler les traits communs à chaque puissance impérialiste participant à la guerre : une bourgeoisie puissante, des élites militaires se complaisant de victoires chèrement payées avec le sang de dizaine de milliers de morts, une haine et un mépris de classe qui a abouti au massacre d’une génération de jeunes dans le cadre d’une guerre terrible, la plus terrible des guerres que l’homme ait jamais connue… avant d’en découvrir une plus terrible encore, moins de trente ans plus tard.

Notes

[1] Antonio Moscato est historien et militant de Sinistra Anticapitalista, organisation de la gauche de classe italienne.

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Le livre La madre di tutte le guerre est disponible en italien auprès du Cercle la brèche au prix de 15CHF (10CHF pour les étudiant-e-s). Ceux et celles intéressés à recevoir une copie du livre peuvent écrire à l’adresse suivante : jmps@mps-bfs.ch.