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Sport et barbarie à l’heure du Mondial 2014

Coupe imagePar Gioas Perozzi

Le Brésil s’apprête bientôt à accueillir la Coupe du monde de football (juin-juillet 2014) et les Jeux olympiques (été 2016). Durant le mois de juin 2013, les principales villes du Brésil ont été le théâtre de manifestations massives et très spontanées. La hausse des tarifs des transports publics, décidée par le gouvernement national, a été le déclencheur de ces mobilisations. Elle n’est en réalité que la dernière de toute une série de politiques et de mesures antisociales prises par le gouvernement de Dilma Rousseff. Quand des dizaines de milliers de Brésiliens et Brésiliennes sont descendus dans les rues, une cascade d’autres revendications ont pourtant suivis, véritable démonstration du malaise que ressent la population. La carence d’investissements dans les services sociaux primaires (éducation, santé et d’autres services publics de base), mais aussi la répression, la privatisation et la gestion néolibérale des ressources publiques du pays ont été pris pour cible par les manifestants.

Cela révèle, dans les faits, une dé-légitimation populaire du gouvernement du Parti des travailleurs (sic !) et de ses politiques de transformation du pays, en accord avec les intérêts du grand capital ; dans ce cas particulier selon la volonté de la FIFA et de ses grands sponsors (Coca Cola, Mc Donald’s, Adidas,…). La mise en œuvre de ces politiques se concrétise au détriment d’un véritable développement socio-économique défini démocratiquement. Il faut garder à l’esprit qu’au Brésil le salaire minimum s’élève, en 2013, à 678 Réal seulement (environ 288 francs) ; un montant qui, selon des études, ne couvre qu’un quart des besoins vitaux (éducation, santé, habitat, etc.). Les données de l’Organisation internationale du travail (OIT) attestent aussi que plus de 90% de la population gagne un salaire inférieur à cette estimation du salaire minimum vital.

« Nous n’avions pas besoin de la Coupe à ce moment exact de notre vie »

Ce slogan manifeste clairement la prise de conscience du peuple brésilien, confronté au détournement des ressources publiques vers la construction des infrastructures sportives ; alors que ce même peuple doit faire face à une situation où, surtout dans les quartiers populaires, les besoins sociaux les plus basiques sont systématiquement ignorés. La population perçoit logiquement, et à juste titre, les énormes dépenses entreprises pour assurer le « bon » déroulement de la Coupe du Monde comme découlant de la folie ! Une folie sûrement très lucrative pour les classes dominantes du pays et pour la FIFA qui ont bon jeu de se cacher derrière l’idée qu’il y aurait un « héritage positif et durable » pour tout le monde en termes d’infrastructures et de « croissance économique ». Cela au nom de l’illusoire principe du « trickle-down » qui voudrait que les bénéfices privés engendrés selon une logique capitalistique aillent « couler » naturellement vers les communautés et les secteurs populaires !

La réalité est toute autre : l’exemple le plus récent nous vient de l’Afrique du Sud où le coût du mondial s’est révélé 1709% en plus des estimations prévues initialement, alors même que le Mondial de 2010 a été pour la FIFA le plus lucratif de son histoire, avec un bénéfice net de 3,4 milliards de dollars (libres d’impôt, grâce au statut spécial dont elle jouit en Suisse !). Cela est très instructif sur la manière dont cette organisation, considérée souvent à tort dans l’imaginaire collectif comme bénévole, utilise les gouvernements des pays hôtes comme « simples garants de l’accumulation du capital » à son profit et à celui de ses partenaires commerciaux.

La FIFA et sa « loi générale de la Coupe » contre les besoins sociaux primaires de la population 

C’est une « stratégie dictatoriale » qui a amené à l’adoption, par le parlement brésilien, de la « loi générale de la Coupe » – et des tribunaux d’exception pour sa mise en place – dans laquelle la FIFA se garantit le cadre légal qui convient à ses intérêts, en plus d’une impunité complète ! Ces dispositions légales anticonstitutionnelles prévoient la mise en place de zones commerciales exclusives, une baisse fiscale pour les entreprises travaillant pour la Coupe et la sanction de tout acte qui porterait atteinte à l’image de la FIFA et de ses sponsors. Il faut comprendre par là l’impossibilité de manifester pour protester contre la Coupe.

De cette façon, au nom du profit économique, même la démocratie fait l’objet d’une mise en cause : avec une apathie et une arrogance dégoutantes, Jérôme Valcke, secrétaire général de la FIFA, a affirmé récemment qu’un « moindre niveau de démocratie est parfois préférable pour organiser une Coupe du monde » ! Des mots qui ne sont pas sans conséquences directes et brutales pour les couches les plus pauvres et défavorisées de la société brésilienne. On estime qu’environ 11 millions de personnes vivent dans des favelas et non moins de 1,8 million purement et simplement dans les rues ! Ce sont eux les premiers et les plus touchés par les politiques de réorganisation de l’espace urbain qui visent à la création d’un endroit strictement fonctionnel aux besoins du capital, avec des méga-structures sportives, des infrastructures touristiques, des grandes voies d’accès aux villes, etc. De tout cela, des millions de Brésiliens seront systématiquement exclus, comme le démontre l’actuel débat sur le méga-stade construit en Afrique du Sud pour la Coupe du monde de 2010 et dont les coûts d’entretien pèsent comme une épée de Damoclès sur les finances publiques.

Une opposition sociale importante à soutenir

C’est dans un tel contexte que les luttes des habitants des quartiers les plus défavorisés des grandes villes brésiliennes, et de plusieurs favelas, se sont radicalisées contre l’imposition d’un aménagement urbain qui va à leur encontre. Le gouvernement prévoit de déplacer 1,7 million de personnes dans l’ensemble du pays. D’où la revendication d’un autre développement démocratique axé sur quelques revendications comme la fin de la violence d’État, l’accès à toute la ville et à ses structures sanitaires et sociales, sans oublier la liberté d’expression culturelle. À cela, les autorités répondent avec encore plus de répression, en opérant une criminalisation systémique des victimes, à la fois dans les faits concrets et dans la propagande par le biais notamment des médias nationaux. Outre le démantèlement de certaines favelas, on assiste à un contrôle policier accru dans celles qui restent en place, voire même à l’attribution de fonctions policières aux forces armées, afin de garantir une répression sociale stricte et d’assurer un plus grand sentiment de sécurité aux élites. La situation est telle que les craintes d’un « nettoyage social » des sans-abri, dénoncées il y a une année déjà par certaines associations de défense des droits de l’homme, sont tout à fait légitimes : pendant la seule année 2011, le nombre de sans-abri tués par les « escadrons de la mort » (des groupes para-policiers) s’est élevé à 142 victimes !

Du côté des luttes sur les chantiers de la Coupe, on peut comptabiliser environ 25 grèves entre février 2011 et avril 2013, avec environ 30’000 grévistes. Celles-ci ont conduit à des conquêtes partielles comme des augmentations de salaire, mais elles ont surtout eu le mérite de donner de la confiance à tout le secteur de la construction. Néanmoins, il ne faut pas oublier les graves conditions de travail. La forte pression exercée sur les travailleurs s’est accrue au fur et à mesure que les dates limites pour la consigne des stades approchaient. Ce qui a même conduit à des morts sur les chantiers des stades de São Paulo, Brasilia et Manaus. Pourtant, mourir sur les chantiers serait tout à fait « normal » selon le « roi » Pelé (et ses amis de la FIFA), comme en témoignent ses récents et effrayants propos après la mort d’un ouvrier de 23 ans : « Ce qui s’est passé et ce qui est raconté, l’incident, tout ça… C’est normal, ce sont les choses de la vie et on ne peut pas aller contre. […] La manière dont seront gérées administrativement l’entrée et la sortie des touristes dans les aéroports du pays… ça, je trouve que c’est préoccupant ».

Face à tout cela, des militants du mouvement syndical, populaire et étudiant ont déjà promis une bataille, en annonçant des luttes avant et pendant la période de la Coupe. Une volonté explicitée le 22 mars à São Paulo dans un appel commun des principales organisations de ces mouvements. Plus de deux mille personnes ont participé à une réunion pour « l’unité d’action ». Sur l’onde positive des manifestations du mois de juin 2013, parvenues à battre en brèche les augmentations des tarifs des transports publics, il y a beaucoup d’espoir. Des luttes sont annoncées à partir du 12 juin 2014, premier jour du Mondial.Nous manifesterons alors toute notre solidarité avec les dizaines de milliers de jeunes et de travailleurs qui descendront dans les rues !

C’est dans l’esprit de mieux saisir la réalité sociale brésilienne actuelle et de comprendre les différents enjeux qui se cachent derrière un évènement sportif d’une grande portée médiatique, à l’instar de la Coupe du monde de football, que nous vous invitons à nous rejoindre le 10 mai 2014, dès 17h, au Centre Fries pour participer à la conférence-débat avec Marc Perelman, professeur à l’Université de Paris X, sur le thème : La coupe est pleine! Sport et barbarie à l’heure du Mondial 2014.

(Texte rédigé en occasion de la conférence de Marc Perelman, Professeurs de l’Université de Paris X, à Fribourg le 10 mai 2014)

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