Catégories
Education et formation Lausanne

Résistances contre la hausse des taxes à l’EPFL

L’augmentation des taxes est désormais une réalité dans plusieurs universités suisses. Les écoles polytechniques fédérales en sont également concernées. Le Conseil des EPF (Ecoles polytechniques fédérales) a annoncé toutefois le 6 mars 2013 qu’il suspend son projet de doubler les taxes d’études dès le semestre d’hiver 2015/2016. Il déclare de souhaiter «examiner l’initiative parlementaire qui exige une différenciation des taxes en fonction du domicile fiscal» (ATS). Cette décision intervient suite à une mobilisation contre la hausse des taxes organisée par des étudiant·e·s de l’EPFL réuni·e·s autour d’un groupe dénommé «MOCAT». Le 22 novembre 2012,  300 personnes ont manifesté lors d’un sit-in, ce qui s’est révélé être un véritable succès. Nous avons rencontré deux animateur·e·s de ce mouvement afin de mieux connaître leurs revendications. Cet interview est paru dans le journal La brèche n. 6 de mars 2013.

Entretien réalisé par Milo Probst et Elisabeth Schenk

Pourriez-vous nous expliquer ce qu’est le MOCAT?
Le MOCAT est l’acronyme de Mouvement contre l’augmentation des taxes qui désigne un groupe d’étudiant·e·s de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) issu des diverses sections du campus. Il doit sa création à la volonté de lutter contre le projet d’augmentation des taxes d’études. Le tout a commencé à la fin du mois d’octobre 2012 à l’initiative d’une dizaine d’étudiant·e·s. Nous souhaitons garder l’anonymat afin d’empêcher le rectorat de réprimer nos activités, qui sont pourtant légitimes. Les revendications du MOCAT sont toutefois bien accueillies par les étudiant·e·s. Notre groupe Facebook compte désormais plus de 1’700 adhésions!
Quelles sont les hausses envisagées?
Les Ecoles polytechniques fédérales (EPFs) ont affiché leur volonté de doubler les taxes d’études. Actuellement fixées à 633 CHF par semestre, elles devraient donc passer à 1’250 CHF. La première version de ce projet prévoyait également des taxes bien plus élevées pour les étudiant·e·s étrangers et étrangères. Cette clause a ensuite été abandonnée dans la mesure où elle avait été jugée (à juste titre!) discriminatoire. Ce n’est pas la première fois que les EPFs souhaitent faire passer un projet d’augmentation des taxes d’études. En effet, elles avaient proposé un projet similaire déjà en 2009. Le projet a ensuite été abandonné face à la mobilisation des étudiant·e·s.
Quelles ont été les premières réactions de la part des étudiant·e·s?
Nous déplorons le manque d’informations données aux étudiant·e·s par le rectorat. C’est l’Association des étudiant·e·s de l’EPFL (AGEPoly) qui nous a mis au courant en juin 2012. L’équipe de cette association a pris l’initiative de mettre au point un sondage, auquel ont répondu plus de 2’100 étudiant·e·s. Il en ressort, entre autres, que deux tiers des étudiant·e·s étrangers affirment qu’ils n’étudieraient pas à l’EPFL à de telles conditions. De plus, la moitié des étudiant·e·s étrangers affirment qu’ils·elles n’auraient pas engagé des études à l’EPFL à de telles conditions. Ce sondage montrait également que les demandes de bourses exploseraient quelle que soit l’origine des étudiant·e·s. Or, il faut savoir qu’une augmentation des taxes représenterait moins de 1% du budget de l’EPFL!
Comment expliquez-vous la volonté d’augmenter les taxes?
Il est clair que le nombre d’étudiant·e·s diminuerait drastiquement face au doublement des taxes. Ce serait le cas surtout pour les étudiant·e·s venant de l’étranger. Mais, au fond, n’est-ce pas ce que veulent M. Aebischer et M. Eichler (respectivement présidents des EPFs de Lausanne et Zurich)? Une sélection par la hausse du prix d’accès à l’éducation serait effectivement très efficace pour réduire les effectifs des écoles. Car le nombre croissant d’élèves est bien leur argument principal pour justifier ce projet d’augmentation des taxes d’études. Il n’y a actuellement aucune proposition précise et concrète concernant l’utilisation des recettes engendrées par la hausse des taxes. Les EPFs voudraient toutefois qu’une partie de l’argent récolté permette le financement du soutien social des étudiant·e·s. Or, il est évident que l’aide sociale ne suffira pas à compenser le doublement des taxes d’études pour la plupart des étudiant·e·s.
Quelles sont vos revendications?
Le fait d’instituer un prix à l’éducation revient à dire que celle-ci n’est pas un droit, mais un investissement économique dans son propre «capital humain» à rentabiliser par le recherche d’une activité professionnelle bien rémunérée une fois les études terminées. Notre avis est en revanche que l’éducation doit être un droit pour toutes et tous. Cela signifie que l’accès aux hautes études ne devrait pas relever d’un privilège. L’augmentation des taxes aura pour effet d’amplifier les inégalités sociales. Les enfants des familles non aisées ou de la dite classe moyenne seront contraints d’effectuer un apprentissage ou des études supérieures de courte durée et moins onéreuses. La création d’un endettement étudiant est tout à fait probable, à l’instar de ce qui se passe aux Etats-Unis (35 millions de personnes ont un crédit lié aux études) ou en Grande-Bretagne. Il a été prouvé, pourtant, que le financement des études par une activité rémunérée réduit les chances de réussite. C’est ­d’autant plus le cas dans les écoles polytechniques où la charge de travail est particulièrement élevée.
Ces revendications sont-elles partagées par l’AGEPoly?
Bien que l’AGEPoly se soit prononcée comme étant «opposée» à la hausse des taxes, elle n’a fait rien de très concret jusqu’à présent. Il faut savoir que le rôle principal de l’AGEPoly n’est pas la défense «politique» des étudiant·e·s, dans la mesure où son activité se limite principalement à l’organisation d’événements et de festivités. Mais on comprend aussi sa volonté de ne pas s’opposer au rectorat qui est l’une des sources de ses financements. Le MOCAT s’est précisément constitué pour combattre cet immobilisme. Car plusieurs étudiant·e·s ont réellement commencé à s’inquiéter: les EPFs avaient annoncé leur volonté d’officialiser la hausse des taxes le 6 décembre 2012 et rien n’était mis en place par l’AGEPoly pour lutter contre cette décision.
Quelles actions de protestation avez-vous menées jusqu’à présent?
Notre premier but était celui d’informer l’ensemble des étudiant·e·s sur l’augmentation des taxes, ses conséquences, et également sur la nécessité d’agir. Nous avons donc imprimé des affiches et des flyers que nous avons collés et distribués sur tout le campus. Nous avons également créé un site web, et un groupe Facebook. Nous avons ensuite organisé, le 22 novembre 2012, un sit-in devant le Rolex Learning Center, nouveau bâtiment particulièrement bling-bling, très onéreux et peu fonctionnel. Il s’agissait pour nous d’un véritable défi de mobiliser les étudiant·e·s d’une école d’ingénieurs où la préoccupation principale de chacun est la réussite de ses propres études. Cette action fut un véritable succès: 300 personnes se sont réunies avec nous pour protester contre la hausse des taxes! En attestent plusieurs articles et reportages parus dans le 24 Heures, le 20 Minutes, le journal de la RTS à 19:30, LaTélé, etc. Plusieurs élus nous ont également soutenu·e·s publiquement. Une interpellation a été déposée au Grand Conseil du Canton de Vaud, des textes de soutien nous sont parvenus par des conseillers nationaux, et le Conseil d’Etat vaudois s’est opposé formellement à la hausse des taxes d’études. Et à la suite de nos actions, l’AGEPoly a organisé une pétition permettant de récolter près de 4’000 signatures!
La hausse des taxes a-t-elle pu être empêchée?
Les Conseil des EPFs ont validé la hausse des taxes le 6 décembre sans toutefois prendre en compte ni la pétition ni la manifestation très médiatisée. L’entrée en vigueur de cette décision a été décalée dans le but de calmer les protestations. Ainsi, la hausse ne commencera qu’à partir de l’année 2015 et s’étalera par étapes successives. Le rectorat espère donc que les étudiant·e·s actuel·le·s des EPFs ne se sentent plus concerné·e·s par cette mesure et arrêtent de militer contre cette décision. En 2016, selon sa logique, les nouveaux arrivants seront mis devant le fait accompli et n’auront plus leur mot à dire! Pour ce qui nous concerne, nous allons poursuivre notre travail de mobilisation par l’information des étudiant·e·s et la recherche de soutiens parmi les élus cantonaux et fédéraux. Nous comptons aussi sur l’appui précieux des étudiant·e·s actifs dans les autres hautes écoles, suisses et à l’étranger, pour combattre ensemble la hausse des taxes à une plus grande échelle. Soyez sûr·e·s que nous continuerons à nous battre et que vous entendrez encore parler de nous!
Pour obtenir plus d’informations sur le MOCAT vous pouvez ­visiter son site web (https://sites.google.com/site/webmocat) et sa page facebook (https://www.facebook.com/groups/MOCAT).