Par Aris Martinelli*
Le doublement des taxes décidé le 5-6 décembre 2012 par le Conseil des Ecoles polytechniques fédérales (CEPF) n’est que la dernière d’une série de mesures antisociales. Les partisans de la hausse des taxes la justifient en affirmant que si les universités sont sous-financées c’est en raison de la faible contribution des étudiant·e·s. . La hausse des taxes menace toutefois l’accès aux études et risque de se répercuter sur les étudiant·e·s les moins aisé·e·s et leurs familles. La crise du capitalisme frappe durement le secteur de l’éducation à l’échelle internationale. Plusieurs mouvementsétudiants ont pris de l’ampleur dans plusieurs pays. La revendication de la gratuité scolaire, contre les politiques néolibérales d’éducation, a été à chaque fois mis en avant, au Chili comme au Québec. C’est une question qui doit être discutée également en Suisse.
Les taxes universitaires sont désormais à l’ordre du jour également en Suisse. En 1989 déjà, par la voix de François L’Epalattenier, la question d’une hausse importante des taxes aux études est avancée. Ce dernier était alors membre de la direction du groupe pharmaceutique Ciba-Geigy (aujourd’hui fondu dans Novartis) ainsi que de la commission Science et Recherche du Vorort (aujourd’hui Economie- Suisse). Différentes instances du patronat suisse prennent le relais à différentes reprises. En 2004, le Cercle d’étude Capital et Economie une étude sur le financement des hautes écoles avec le concours d’AvenirSuisse et EconomieSuisse. Ce document contient la proposition d’une hausse des taxes à hauteur de 5000 francs par année. C’est dan s ce sillage que Mauro Dell’Ambrogio – actuellement secrétaire d’Etat Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI) – propose une hausse encore plus élevée: 8000 francs par année, avec des hausses pouvant être plus élevées encore pour les étudiant·e·s étrangères et étrangers.
Les arguments pour la hausse des taxes en Suisse
La hausse des frais repose sur trois arguments principaux:
1° Les écolages pratiqués par les universités suisses sont relativement bas en comparaison international: actuellement entre 1’000 et 4’000 francs par année pour les étudiant·e·s suisses et entre 1’000 et 8’000 francs pour les étudiant·e·s étrangers selon les universités (y compris pour les écoles polytechniques). Une participation plus élevée aux coûts de la formation par les étudiant·e·s est donc considérée comme nécessaire. EconomieSuisse revendique une augmentation des taxes pouvant constituer environ 10% des recettes des établissements universitaires. Aujourd’hui, la part des taxes parmi les recettes ne représente en moyenne que 3%!
2° Les universités exigent des ressources supplémentaires pour faire face à un nombre accru d’étudiant·e·s et garantir la qualité des enseignements dispensés. C’est l’argument récemment mis en avant par le Conseil des écoles polytechniques fédérales (CEPF) pour justifier le doublement des taxes à partir de l’année 2015. Mais si on regarde de plus près les chiffres, on observe que Que les recettes «dégagées» par la hausse des frais d’inscription n’a pas d’incidence significative sur les recettes des hautes écoles. À titre d’exemple, la récente hausse des taxes à l’EPFL est censée rapporter 7,75 millions de francs supplémentaires par année, à savoir seulement 0,98% de son budget annuel! L’incidence sera toutefois bien plus significative pour les quelques 6000 étudiant·e·s touchés.
3° Le troisième argument renvoie à une démarche de «responsabilisation» des étudiant·e·s qui doivent concevoir leur propre formation non plus comme un droit acquis, mais comme un «investissement pour leur propre avenir». D’après cette conception, un montant des taxes plus élevé représentera le «coût initial» d’un investissement rentabilisé une fois trouvé un emploi rémunéré dans le marché du travail. De plus, le niveau des taxes sera l’un des critères retenu pour évaluer la qualité des diplômes dispensés par les universités. Comme nous le rappelle la porte-parole du Parti démocrate-chrétien (PDC), Marianne Binder, il convient de «mieux vendre cette ressources qu’est la formation» (24 Heures, 21.12.2010).
Les partisans de la hausse des taxes font appel à ce même discours quand ils parlent des étudiant·e·s étrangers et étrangères. C’est dans ce sens que Ivo Bischofberger, députée PDC au Conseil des Etats, a déposé une postulat priant ses collègues du parlement d’étudier «les méthodes possibles pour maîtriser ces flux [d’étudiant·e·s étrangers] de manière efficace, mais aussi de voir ce qui est judicieux du point de vue de la politique éducative». Il poursuit en les invitant à examiner en particulier «les conséquences d’une augmentation appropriée des taxes d’étude et l’instauration – en tant que mesure complémentaire ou de remplacement – d’examens d’admission obligatoires pour les candidats aux études en provenance de pays étrangers, c’est-à-dire de contingents ou de quotas d’étudiants étrangers». Ces arguments sont repris avec la même vigueur par l’Union démocratique du centre (UDC). On peut lire dans son programme de législature 2011-2015: «l’UDC ne veut pas des universités de masse, mais des universités de pointe. […] Il n’est pas acceptable que les contribuables suisses financent la formation de milliers d’étudiants étrangers […] Il faut donc exiger des étudiants étrangers des taxes universitaires sensiblement plus élevées et empêcher l’afflux d’étudiants peu qualifiés».
Les conséquences sur les conditions de vie des étudiant·e·s et de leurs familles
75% des étudiant·e·s exercent déjà un travail salarié parallèlement à leurs études. Parmi celles et ceux qui travaillent, la moitié évoquent la nécessité de disposer des ressources financières indispensables pour la poursuite des études. Cela signifie concrètement que leur activité rémunérée leur permet de payer le logement, l’alimentation, les habits, les taxes, etc. Dans ces conditions, une hausse des taxes obligera beaucoup à recourir à des crédits aux études (voir l’éditorial de ce numéro).
L’endettement des étudiant·e·s est loin d’être comparable à ce que l’on retrouve par exemple aux Etats-Unis, où 35 millions de personnes sont contraintes de rembourser une dette contractée pour financer leurs études. L’endettement s’élève en moyenne à 29’000 dollars US (27300 CHF). En Suisse, seuls 13% des étudiant·e·s ont contracté une dette à la fin de leurs études d’après les données de l’Office fédéral de la statistique (OFS). Le montant de la dette est d’environ 10000 CHF et tend à augmenter pour les étudiant·e·s les plus âgé·e·s. Le relèvement des taxes déjà en vigueur dans plusieurs universités et écoles polytechniques (Saint-Gall, Zurich, EPFs, etc.) est toutefois susceptible de créer un véritable marché de crédit adressé spécifiquement aux étudiant·e·s.
Pour promouvoir la hausse des taxes, les partisans de la hausse des taxes assurent qu’un système de bourses d’études sera mis en place afin d’assurer le maintien de l’«égalité des chances». Afin de pallier les «effets secondaires» de l’augmentation des taxes, un système d’aide aux études est prévu. Il s’agit non seulement d’un pansement sur une blessure élargie par ces politiques mais c’est aussi largement une fiction. En effet, la proportion des étudiant·e·s au bénéfice d’une bourse aux études est très faible. Les données de l’Office fédéral de la statistique (OFS) sont éclairantes. Seuls 8% des étudiants du post-obligatoire bénéficient d’une bourse. Le montant global des diverses aides aux études a même baissé de 6% sur la période 1990-2011 en dépit du fait que le nombre d’étudiant·e·s a augmenté.
Prenons l’exemple de l’EPFL. La hausse des montants consacrés aux bourses ne serait pas suffisante pour combler les besoins d’un nombre importants d’étudiant·e·s. D’après un sondage conduit sur un échantillon de 2176 étudiantes (soit environ 35% des inscrits à l’EPFL), 43,7% des étudiants suisses, 45% de ceux et celles de l’Union européenne (UE) et 74,6% des ressortissant·e·s hors UE devraient recourir à une bourse le jour où l’augmentation des taxes entrera en vigueur. Il est pourtant difficile de croire à une augmentation généralisée des bourses. En effet, le Concordat intercantonal sur les bourses d’études du 18 juin 2009 restreint les critères de «sélection» des boursier·ère·s en faisant passer la base de calcul déterminant l’octroi d’une bourse du revenu imposable au revenu disponible. Ce nouveau critère réduira les familles à revenu modeste pouvant accéder à une bourse pour leurs enfants parce qu’elles possèdent par exemple d’une valeur locative (bien immobilier).
Quelles perspectives pour une résistance estudiantine en Suisse?
La hausse des taxes est déjà entrée en vigueur dans les universités de St-Gall et Zurich ainsi que dans les écoles polytechniques fédérales. À l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), le Mouvement contre l’augmentation des taxes d’études (MOCAT) a réussi à rassembler 300 personnes le 22 novembre 2012. En décembre 2012, plusieurs centaines d’étudiant·e·s ont manifesté devant le Grand Conseil à Lucerne contre les coupes budgétaires prévues dans le domaine de l’éducation. À l’Université de Fribourg, un groupe indépendant d’étudiant·e·s a lancé une pétition pour une «Université démocratique, plurielle et égalitaire» pour s’opposer à la nouvelle loi cantonale sur l’Université. Certaines de ces expériences de luttes se trouvent actuellement réunies autour d’un Réseau d’action étudiante! (ResAct), dans lequel participent également plusieurs associations étudiantes officielles. Cette nouvelle structure a pour but de mieux coordonner les activités de protestation dans les différentes universités. C’est dans ce cadre qu’une réflexion est nécessaire pour comprendre l’organisation, les lignes directrices et l’avenir de l’éducation supérieure en Suisse, afin que ces «réactions» puissent trouver un terrain de revendications et d’actions favorable sur un horizon temporel plus long.
Nous revendiquons une autre institution universitaire qui soit au service de la société dans son ensemble. Cela suppose de résister contre la soumission de l’éducation aux impératifs propres à la valorisation du capital – la rentabilité et «l’efficacité» pour n’en nommer que quelques-uns – qui orientent différemment les valeurs sociales et culturelles. Mais cela signifie aussi le rejet d’une université corporatiste, enfermée sur elle-même. Le véritable enjeu porte en réalité sur l’université comme institution démocratique, capable de répondre aux besoins de notre société. Une telle université formerait des femmes et des hommes doté·e·s d’un esprit critique et d’un savoir pouvant être mis à disposition de la collectivité. La résistance contre l’augmentation des taxes n’est qu’un premier dans cette direction!
* Cet article est paru dans La brèche n. 6