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Journée d’étude sur les frais d’inscription

Le 14 décembre dernier, des membres du Cercle La brèche ont participé à une journée d’étude à Paris consacrée aux frais d’inscription. (première partie)

La première partie de cette journée avait pour but de comprendre la logique néolibérale derrière l’instauration ou l’augmentation des frais de scolarité. La deuxième partie de la journée a été consacrée aux luttes étudiantes qui se sont mises en place depuis 2010 contre l’établissement de cette logique.

Les frais de scolarité et leur hausse sont les outils des gouvernements et milieux libéraux tendant à transposer le modèle de l’entreprise à l’individu, à l’enseignement et même à la société entière.

L’individu comme auto-entrepreneur

Le sociologue Pierre Clément a expliqué lors de son intervention que l’individu se construit sur la base d’un modèle auto-entrepreneurial. Dès la maternelle, nos petits chérubins sont des sortes de start-up dans lesquels il s’agit d’investir ou non, selon leur potentiel. Le choix de l’école, le dépeuplement en France des ZEP (zones d’éducation prioritaires), la préférence pour les écoles privées sont non seulement le signe du changement de définition de l’éducation, mais ont aussi pour conséquences une ségrégation sociale. Dans cette logique, les frais de scolarité accentuent les effets pervers de l’entre-soi, en somme du manque de mixité sociale. Les individus issus des milieux défavorisés s’auto-dissuaderont d’entamer des études supérieurs. Seuls ceux qui penseront pouvoir maximiser le profit des études, convaincus de leur talent, entreprendront de poursuivre leur études.

Le changement du rôle de l’éducation

Toujours selon Pierre Clément, l’Etat s’impose une obligation de résultat. L’éducation se doit d’être utile pour le marché du travail. Les connaissances ne valent rien si elles n’impliquent pas des retours sur investissement. On passe d’une logique de connaissance à une logique de compétence. Les lois de l’offre et de la demande chère à notre économie de marché guident le choix des étudiants pour des filières et disciplines ayant le plus de débouchés. Les filières les moins courues vont être peu à peu supprimées car les universités sont aussi de plus en plus construites sur le modèle de l’entreprise et se doivent d’attirer le plus d’étudiants possibles, leur financement dépendant souvent du nombre d’étudiants qu’elles attirent.

La logique néolibérale transforme la société 

Si l’éducation est peu à peu gouvernée par ces normes de marchés, de compétitivité et d’attractivité ce n’est selon Christian Laval, célèbre sociologue, que le symptôme du changement de la société entière façonnée par le  capitalisme. Ainsi, dans Néolibéralisme et subjectivation capitaliste, Pierre Dardot et Christian Laval explique le processus qui conduit à cette mutation sociétale :

« On peut (…) se demander quels rapports l’on peut établir entre cette extension de la « logique du marché », c’est-à-dire de la concurrence, à des institutions qui ne produisent pas de « marchandises » au sens strict du terme, qui ne sont donc pas des entreprises capitalistes, et la logique de l’accumulation du capital, qui suppose, elle, la production en quantité croissante de marchandises. Il faut alors faire l’hypothèse que la rationalité néolibérale se caractérise précisément par l’autonomisation et l’extension de la « logique de marché » en dehors de la sphère marchande. Ce qui revient à dire que le néolibéralisme se caractérise par la transformation de la concurrence en forme générale des activités de production, en particulier celles qui produisent des services non marchands, et des relations sociales hors même de la sphère productive. Mais, telle est du moins la thèse de cette contribution, cette autonomisation et cette extension ne procèdent pas de l’action souterraine de supposées « lois immanentes de la production capitaliste », que la concurrence se chargerait d’imposer à chaque capitaliste individuel sous la forme d’une dure « contrainte extérieure [4] ». Bien plutôt sont-elles l’effet de pratiques, de techniques, de discours qui généralisent ce que le jargon managérial appelle les « bonnes pratiques » et qui, partant, homogénéisent à l’échelle de la société les manières de faire et d’être. » 
(Pierre DARDOT, Christian LAVAL, Néolibéralisme et subjectivation capitaliste, Cités 1/2010 (n° 41), p. 35-50. Disponible sur http://1libertaire.free.fr/PDardotCLaval10.html, consulté le 6 janvier 2013)

Déplacement de la collectivité à l’individu

L’éducation est un bien commun dont les coûts devraient être supportés par la collectivité. En instaurant des frais d’inscriptions, souvent élevés, les gouvernements rendent l’éducation difficile d’accès pour les individus issus de classes défavorisés. Les plus courageux d’entre eux devront faire appel à des prêts auprès de banques et consacrer leur temps libre non pas à étudier mais à travailler dans un job qui n’a souvent aucun lien avec leurs études.

La banalisation de l’endettement pour financer ses études est inquiétante. Selon Eric Martin et Simon Tremblay-Pepin, chercheurs de l’Institut de recherches et d’informations socio-économiques (IRIS), il y a un risque réel de l’éclatement d’une bulle spéculative similaire à celle de l’immobilier aux Etats-Unis en 2008. Il s’agit aussi d’avoir un contrôle sur les individus endettés. Leurs dettes sera une épée de Damoclès guidant leur choix de vie, les obligeant à rentrer dans le modèle de la performance et du renoncement de leurs réelles envies. Instauration d’une sorte de dictature capitaliste où la liberté de choix n’est qu’illusion.