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Grèce. « Construire une mobilisation antifasciste et contre l’austérité »

TaNea
La propagande «anti-communiste» par le «grand quotidien» Ta NEA. Alexis Tsipras dans les mains de Staline….

Par Panagiotis Petrou

Introduction

Les développements récents peuvent créer de la confusion et conduire à des conclusions erronées. Nous avons besoin d’éclaircir les faits, d’identifier les motifs et les stratégies des différentes forces politiques et d’élaborer des réponses et une stratégie.

Quelles sont les conclusions erronées? Les médias dominants félicitent Antonis Samaras, Premier ministre, comme étant un démocrate. Alors que la police couvrait, voire même collaborait avec Aube Dorée, en particulier contre les migrant·e·s.

Quelle est la situation confuse dans laquelle on se trouve? La gauche a été surprise. Il s’agit d’une situation nouvelle, il s’agit donc de mettre les choses en perspective.

1° Le gouvernement Samaras et la montée d’Aube dorée

Le premier aspect que je voudrais développer est celui du gouvernement Samaras et de la montée d’Aube dorée avant le meurtre du rappeur Pavlos Fyssas [la nuit du 17 au 18 septembre 2013]. De nouvelles mesures d’austérité étaient en vue, voire même un nouveau mémorandum sous la pression de la Troïka (FMI-UE-BCE).

Le gouvernement (Nouvelle Démocratie-PASOK) n’avait pas de vision positive à offrir à la société (la Nouvelle Démocratie recevait moins de 28% de soutien dans les sondages). L’idée selon laquelle il n’y avait pas de lumière au bout du tunnel était très répandue. Cette situation conduisait à un problème de gouvernabilité, un problème de stabilité.

Dans ce contexte, le gouvernement va activer deux leviers en ce que l’on peut qualifier comme étant une véritable contre-révolution idéologique: tout d’abord gouverner avec un bras de fer (brutalités policières, attaques contre les maisons occupées, réquisitions des travailleurs lors des grèves); ensuite de rassembler autour de lui un soutien fondé sur les peurs (peur de la Coalition de la gauche radicale, SYRIZA, c’est-à-dire de tout perdre si le gouvernement tombe; remise à l’ordre du jour d’un discours de type guerre froide contre la gauche, qui fait écho au passé du pays).

Aube dorée a une place pleine et entière dans ce projet:

• malgré la compétition électorale entre Aube dorée et Nouvelle Démocratie (ils se battent pour certains secteurs identiques de l’électorat), une force ouvertement anticommuniste, anti-immigrées était utile;

• Aube dorée bénéficiait du climat forgé par Samaras dans ses discours préélectoraux sur les thèmes «il faut reconquérir nos villes face aux immigrés», d’un «programme sécuritaire» et de la crainte de la «menace des rouges».

Aube dorée était à l’avant-garde de cette guerre menée par le gouvernement, la Nouvelle Démocratie est responsable de la montée d’Aube dorée. Ce n’est pas seulement un aspect idéologique. Aube dorée bénéficiait de la protection de l’Etat. Un exemple: lors des élections de mai-juin 2012, quelque 50% des policiers des forces d’intervention ont voté pour Aube dorée. C’est dans ce contexte qu’Aube dorée est entrée au Parlement en juin 2012 avec 7% des voix.

Une stratégie de l’escalade, de la tension, s’est donc mise en place. Il n’est dès lors pas surprenant d’apprendre que les principaux conseillers de Samaras sont issus d’un courant de droite extrême au sein de la Nouvelle Démocratie, un courant qui avait scissionné dans le passé [et qui a eu des relations avec le Front national français] et dont Samaras est un représentant. Ces derniers affirment qu’une collaboration avec Aube dorée est possible pour gouverner.

C’est un thème que Babis Papadimitriou, un journaliste connu et influent, développe également quelques jours avant l’assassinat de Pavlos Fyssas sur le mode «si Aube dorée était plus sérieuse, la constitution d’un gouvernement de coalition avec la Nouvelle Démocratie serait une solution».

2° Le meurtre de Pavlos Fyssas comme tournant

C’est un choc qui va changer la situation. Il y a tout d’abord la pression et la crainte devant la colère antifasciste qui s’exprime par d’importantes manifestations. On compte 30 manifestations le lendemain de l’assassinat. Dans les deux semaines qui suivent, c’est plus de 100 manifestations qui se dérouleront dans toute la Grèce. Celles-ci réunissent des secteurs bien plus larges que les milieux antifascistes et antiracistes traditionnels. Cette colère et ces manifestations suscitent de l’inquiétude dans les cercles dirigeants en raison de la possibilité d’une jonction de ce mouvement avec la vague de grèves (éducation, université, hôpitaux…) et de protestations qui se déroulent au même moment contre l’austérité.

L’idée qui domine est donc que si le gouvernement n’agit pas, le mouvement va croître et prendre des proportions dangereuses. Il était donc indispensable de «canaliser», de «détourner» l’antifascisme pour le diriger vers un agenda sécuritaire de la «loi et de l’ordre».

La croissance d’Aube dorée a eu pour résultat que ce dernier «tirait sur la laisse», qu’elle s’autonomisait et prenait confiance sur ce qu’elle était en mesure de faire par ses propres forces. Ce qui s’est suivi par une croissance des actes violents (contre des militants du KKE – le PC –, de la gauche radicale, de syndicalistes, et même contre certains membres de la Nouvelle Démocratie).

C’est une situation dont Nouvelle Démocratie ne pouvait s’accommoder. Des divisions au sein du parti ont émergé sur ce qu’il convenait de faire.

La classe dominante grecque était préoccupée par cette situation. S’il y a bien des secteurs qui voient Aube dorée comme une option, on est toutefois loin de l’idée d’un «choix» d’une «solution nazie» pour la Grèce. Surtout, elle n’était pas enthousiaste à la perspective de batailles de rue, ce qui nuirait au besoin de stabilité pour mettre en place les mesures d’austérité, avec «l’appui» de l’UE.

Il y a donc eu un choix de se retourner contre Aube dorée, de frapper des coups contre la direction de cette force afin de la maintenir sous contrôle. Ce n’est pas là seulement une campagne de «relations publiques», il y a une dimension bien réelle, avec des mesures concrètes.

Dans ce contexte, le gouvernement va modifier son programme, il va se poser en «gardien de la stabilité». De là émerge l’idée que le parlement est au-dessus de la confrontation, de la lutte de classes.

3° Limites du tournant, limites des mesures prises par l’Etat, de «l’antifascisme» piloté par l’Etat

a) • Aube dorée n’a pas été écrasée. Il est question d’en limiter l’influence, de la confiner mais non de l’écraser. Les nazis restent une importante réserve, une ressource contre la gauche.

• Les poursuites judiciaires, les procès contre une partie des dirigeants d’Aube dorée peuvent être motivés par une volonté de conduire à un changement de direction, qui serait plus «sérieuse», qui abandonnerait certains attributs des néonazis. D’ailleurs, deux dirigeants importants, Kasidiaris et Panagiotaros, ont été libérés avant le procès.

C’est ainsi que prend son sens l’opération médiatique (Babis Papadimitriou, que j’ai cité plus haut) de promotion d’une extrême droite respectable, nationale, qui «blanchit» et «aseptise» l’idéologie d’Aube dorée (à l’exemple de ce qui se passe avec le Front national en France). On a vu aussi réapparaître sur le devant de la scène le LAOS, un parti d’extrême droite (mais pas nazi) qui avait fait partie d’une coalition gouvernementale avant de voir son influence électorale s’effondrer. Ses dirigeants déclarent qu’ils sont une alternative, nationaliste et patriote, contre la gauche mais plus sérieux, qu’ils ne sont pas des nazis violents.

PanP
Panagiotis Petrou

D’un autre côté, Nouvelle Démocratie est divisée sur les mesures à prendre contre Aube Dorée. Il y a d’un côté une aile «libérale» qui serait disposée à prendre des mesures plus dures, prête à aller jusqu’au bout, alors que l’autre la fraction d’extrême droite du parti entend «préserver les munitions» (Kranidiotis). N’oublions pas que Samaras est issu de cette fraction.

Il y a aussi l’appareil d’Etat. Ecraser Aube dorée supposerait briser les liens, ou au moins la complaisance, que les néonazis bénéficient dans une partie de la magistrature, de la police, de l’armée et même dans l’Eglise orthodoxe.

c) Tout cela me conduit à une troisième remarque.
Le gouvernement n’est pas capable et ne désire pas écraser Aube dorée.
• L’Etat se tirerait une balle dans le pied (obligeant à un «nettoyage» dans l’armée, la magistrature…).
• Les réseaux, les liens entre des capitalistes et Aube dorée (qui existent) ne peuvent être brisés sans faire beaucoup de remous.
• Il n’est pas question de remettre en cause le racisme institutionnel, le racisme d’Etat, contre les migrant·e·s, l’idée selon laquelle les migrant·e·s sont responsables des maux du pays.
• L’austérité mise en œuvre par le gouvernement nourrit les courant d’extrême droite et il n’est pas question d’arrêter cette guerre sociale.
• Si Aube dorée a connu une baisse importante dans les sondages (où elle se situait à plus de 15%), elle reste aujourd’hui à 7% (et les sondages sont peut-être influencés par la conjoncture: il est plus délicat de se déclarer pro Aube dorée). Il y a donc une base stable en faveur des néonazis.

d) Si l’on garde cela à l’esprit, nous pouvons considérer ce qui s’est ouvert avec les exécutions des deux membres d’Aube dorée devant les locaux de l’organisation à Athènes, le 1er novembre dernier.

Dans le contexte de la situation ouverte par l’assassinat de Pavlos, Aube dorée n’arrivait pas à réunir du soutien lorsqu’elle se présentait comme «victime» de la répression. Les manifestations qu’elle a organisées réunissaient à peine 200 ou 300 personnes et elle a dû faire profil bas même dans les quartiers où elle était présente.

Après ce double meurtre, cela devient plus aisé. C’est un cadeau pour elle et pour le gouvernement.

Aube dorée échouait à se présenter et à devenir une «force sérieuse», respectable. Elle a maintenant cette chance: sa réponse au double meurtre a été très modérée là où on aurait pu s’attendre à des actions violentes.

La Nouvelle Démocratie ne parvenait pas à convaincre avec sa «théorie des deux extrêmes» qu’il faut combattre (soit les néonazis, d’un côté, et SYRIZA et le mouvement antifasciste, de l’autre).

Elle a maintenant la possibilité de valider cette théorie, avec le soutien des médias de masse et les spéculations sur qui sont les auteurs de ce double meurtre.

La Nouvelle Démocratie échouait à mettre en œuvre son programme sécuritaire, sa volonté de stabilité. Aujourd’hui elle peut répandre l’idée que le problème n’est pas celui des néonazis, mais plutôt la violence, la «culture de la violence» qui existe en Grèce, les diverses formes d’extrémisme, etc.

Nous pouvons donc observer un changement d’atmosphère. La guerre contre les «deux côtés, les deux extrêmes» pourrait bientôt devenir une guerre contre «un seul côté»: la gauche, les syndicats et tous ceux qui s’opposent aux mesures d’austérité.

4° Où en sommes-nous et réponses de la gauche

La réponse du gouvernement dans ce contexte est de mettre en place une double stratégie. La première est de recourir à nouveau à la théorie des «deux extrêmes»: il s’agit de combattre autant les protestations contre un projet de mine d’or (dans les Skouries), la gauche, d’un côté, qu’Aube dorée. La deuxième stratégie est celle de la constitution d’un «front constitutionnel». L’idée est de rassembler les partis parlementaires qui obéissent à la légalité constitutionnelle. Si la première stratégie constitue une menace dirigée contre SYRIZA, la seconde fait appel à cette dernière formation pour être partie de ce front, qu’il est indispensable à tous les partis à l’exclusion d’Aube dorée d’agir de concert, qu’il faut s’unir autour de ce qui est «essentiel». Au sein de SYRIZA, cette stratégie rencontre une certaine audience dans la droite de cette coalition qu’est SYRIZA. Pourtant, peu remarquent qu’il n’y a pas de contradictions entre les deux aspects de cette stratégie. Celle-ci fonctionne comme la tactique du «bon» et du «mauvais» flic. C’est la menace du bâton répressif de la théorie des deux extrêmes qui rend la carotte du «front constitutionnel» agréable.

La Nouvelle Démocratie est elle-même divisée dans ce contexte entre la fraction d’extrême droite qui veut conserver la «carte Aube dorée» et ceux qui insistent sur le «front constitutionnel».

Il est indispensable de faire face à ces deux stratégies. Il est tout d’abord impossible de succomber à la théorie des «deux extrêmes». On ne peut placer un signe d’égalité entre la violence nazie, les assassinats, la chasse aux migrant·e·s, d’un côté, et les grèves d’enseignant·e·s contre les fermetures d’écoles, d’hôpitaux, de travailleurs et de fonctionnaires contre les conséquences des mesures d’austérité ou encore les protestations contre un projet minier désastreux, de l’autre. Les résistances de la gauche sont l’opposé d’un «extrémisme». Il n’est pas d’antifascisme plus sûr et solide que d’opérer une jonction de celui-ci avec les luttes contre l’austérité: il faut lier la lutte antifasciste avec les luttes sociales.

Enfin, nous devons nous battre contre le «front constitutionnel», qui suppose une certaine acceptabilité du fonctionnement institutionnel actuel et l’idée qu’il y a une base commune entre tous les partis parlementaires à l’exclusion d’Aube dorée. Pire encore, cette notion aboutit à conclure qu’il y a des politiciens de droite plus «acceptables», «préférables», «meilleurs», avec lesquels on peut travailler. A cet égard, il existe des illusions même au sein de franges de SYRIZA sur quelqu’un comme Karamanlis, présenté comme préférable à Samaras alors qu’il est issu de l’un des deux «clans» – l’autre étant les Papandréou – qui dirige le pays depuis des décennies.

L’instrument pour cimenter ce front constitutionnel a été le vote au Parlement pour mettre un terme au versement d’argent public à Aube dorée, en tant que parti représenté. Il est nécessaire qu’une majorité des 300 député·e·s accepte l’amendement pour qu’il ait force de loi. Deux articles constitutionnels ont été utilisés pour appuyer ce vote: les articles 187 («constitution d’organisation criminelle») et 187A («activités terroristes»). Ces articles sont un héritage de la junte dictatoriale qui a dirigé le pays entre 1967 et 1974. Ils visaient en premier lieu, au moyen de dispositions larges et vagues, en premier lieu la gauche. Nous nous sommes toujours opposés à ces articles. Pourtant SYRIZA, aux côtés de la Nouvelle Démocratie, du PASOK, de Dimar (Gauche démocratique) et d’autres partis a voté cet amendement. Ce vote est une miniature de ce qui est ce «front constitutionnel». C’est une bataille que nous devons mener au sein de SYRIZA pour dissiper les illusions qu’il suscite.

Je conclurai en disant qu’il y a bien deux extrêmes, disons deux camps qui existent dans la société. Ce n’est pas ceux auxquels pense le gouvernement. Il y a, d’un côté, l’appareil d’Etat, le patronat, les partis bourgeois, les classes dominantes et les nazis qui, aussi, en font partie; de l’autre on trouve la classe laborieuse et ses organisations syndicales et politiques. Il est indispensable de construire dans les quartiers, dans les écoles, sur les places de travail et dans la rue une lutte antifasciste et contre l’austérité. Il faut opposer au désespoir contre-révolutionnaire de l’extrême droite une espérance révolutionnaire. Aube dorée surgit en Grèce après ce qui s’est passé en Italie, en Allemagne, en Hongrie, en Espagne et ailleurs. Nous n’en sommes pas encore là, mais il faut nous assurer les conditions de victoires avant qu’il ne soit trop tard. Je vous remercie. (Intervention de Panagiotis Petrou à Lausanne et à Genève les 12 et 13 novembre 2013; cet article est paru sur le site alencontre.org en date 27 novembre 2013)